L'ouverture fut aussi brève qu'elle pouvait l'être, que ce soit par précipitation ou par méfiance. Shinji eut toutefois le temps d'entrapercevoir celle qui se tenait aux commandes. Aussi humaine que son compère, il s'agissait d'une jeune femme blonde d'une vingtaine d'années. Si elle n'avait tenu la barre d'une arme de guerre, elle lui aurait sans doute paru parfaitement inoffensive. Les apparences sont parfois trompeuses... Mais encore une fois, qu'est-ce qui pouvait pousser des êtres en tout point semblables à s'en prendre à eux aussi violemment ? Ce n'était pas cette fois qu'il aurait des réponses.

Même si son MS en garderait probablement un enregistrement, il tâcha de mémoriser leurs deux visages. Compte tenu de la menace qu'ils représentaient eux et leur patrie, savoir les reconnaître pouvait sauver des vies. Et à défaut de comprendre les raisons de cette hostilité, à tout le moins ne les laisserait-il pas perpétuer leur œuvre de mort à leur gré. S'il avait de plus en plus de mal à trouver sa place dans la lutte contre la Capitale, ce conflit hérité, il serait bien plus prompt à se dresser contre Scydonia si elle ne corrigeait pas vite sa ligne de conduite... Si désespéré que soit ce combat. Il avait eu de la chance cette fois...

Le tir de canon lui fit manquer un battement de coeur. Il ne fit rien pour les empêcher de partir cependant, comprenant vite qu'ils s'étaient contentés d'effacer les traces. C'était malin de leur part, bien que l'adolescent soit trop chamboulé pour y avoir vraiment pensé. Au moins, ça lui évitait de trouver une solution pour ramener cette épave en plus du Nu Gundam... Et malgré la puissance du rayon, l'urgence dans laquelle il avait été tiré pouvait bien avoir laissé des restes. Du reste, ce n'était pas à lui de s'occuper de ça. Dès qu'ils furent assez loin pour qu'il se sente en sécurité, il ouvrit à son tour son appareil et sauta dehors.

Ses jambes accueillirent assez mal la nouvelle. S'il n'avait pas eu à en souffrir tant qu'il était à l'intérieur, ses genoux étaient assez salement écorchés et des éclats de pierre s'étaient plantés dans ses mollets. Manquant de peu de s'étaler de tout son long, il réussit néanmoins à tanguer jusqu'à Niimi et - plus ardu encore - s'agenouilla à ses côtés. La douleur était aigüe mais à peu près supportable ; et si les plus petites blessures suffisaient d'ordinaire à le mettre mal à l'aise, celle de Niimi était telle en comparaison qu'il n'avait pas le droit de se plaindre (à qui le faire, de toute façon ?).

« Est-ce que ça va ? » Question stupide : non, elle n'allait pas bien. « Comment est-ce que vous vous sentez ? »

Demandait-il cela parce qu'il ne savait pas quoi faire d'autre ? Ou parce qu'il se souvenait vaguement avoir vu ou lu quelque part que parler aux blessés les empêche de sombrer dans l'inconscience ? Il jeta des coups d'oeil anxieux à l'horizon, s'assurant comme il le pouvait que les deux autres n'avaient pas fait demi-tour. Il n'avait quoi qu'il en soit pas le loisir de prendre ses aises ; outre son état déjà préoccupant, elle continuait de se vider de son sang. Il passa rapidement en revue le peu de possibilités qu'il avait et s'inclina davantage vers elle de sorte à se mettre à sa portée.

« Tenez bon. Vous pensez pouvoir vous accrocher à moi ? Je vais vous emmener jusqu'à l'Overlord. »

Il leva les yeux vers le ciel : et le tireur dans tout ça ?

À défaut de lui tenir un discours cohérent, Niimi était assez lucide pour suivre ses consignes. Il n'en fallait pas plus. Pour être certain de ne pas faire pire que bien, Shinji fut obligé de jeter un oeil à sa blessure. Son estomac ne manqua pas de manifester son mécontentement. Plus encore quand il fut forcé d'y plaquer les doigts. Même à travers la combinaison, cette dernière était si fine qu'il pouvait distinctement sentir la chaleur, la texture du sang. Un frisson d'horreur le parcourut tout entier, et il crut qu'il allait défaillir.

Son bras passé sous l'épaule valide de la jeune femme et la paume plaquée sur sa blessure, il plaqua sa main libre sur sa bouche pour contenir sa nausée. Il ne savait pas d'où lui venait cette terreur viscérale à l'égard du liquide vital, mais le fait est que dans le présent cas, elle ne lui rendait pas la vie facile. Heureusement que sa partenaire n'avait pas les idées claires ; on ne pouvait pas vraiment dire qu'il ait fière allure. Livide, il se traîna comme il le pouvait vers l'Overlord, l'entraînant avec lui en s'efforçant de ne pas aller trop vite.

Trouver le juste milieu entre la hâte et la prudence - dans un cas comme dans l'autre pour éviter que son état n'empire - était d'autant moins facile que si elle était légère, Shinji lui ne brillait pas par sa force physique. Chaque pas était une épreuve que ses jambes meurtries prenaient soin de lui faire regretter. Plus que la dévotion ou quoi que ce soit d'autre, ce qui le motivait à continuer était de se dire que s'il tombait, ce serait pire. Dire que tout allait bien une heure auparavant... C'était bien en cela que la guerre est la plus abjecte : elle frappe souvent sans prévenir.

« Accrochez-vous, ça va aller. »

Mais il n'en savait rien lui-même.

Le Lucifer arriva enfin dans la zone où se trouvait l'Overlord. Tout en restant à une certaine altitude (histoire que la puissance de mes réacteurs ne vous gêne pas par exemple), la spacenoïd utilisa ses caméra pour analyser la situation.

* Outch. *

Shinji portait Niimi vers sa machine. La pilote ne semblait pas dans le meilleure des états, et le bleu était aussi livide qu'un zombi. Un instant Christina se demanda ce qui serait arrivé si elle n'était pas intervenu.

Communication via les haut-parleurs:
- Ici la gardienne impériale Christina Clyne.

Autant s'identifier pour éviter qu'ils paniquent, même si Niimi et Shinji avaient déjà vu le Lucifer.

Communication via les haut-parleurs:
-Je vais vous aider à rejoindre votre cockpit, grimpez sur ma main.

En douceur, le Lucifer se posa près de l’appareil de Shinji et posa sa main au sol. Quand il serait dessus elle les lèverait jusqu'au cockpit, en douceur.

* Elle a besoin de soin...vite. *

Quand le bruit d'un réacteur parvint à ses oreilles, Shinji se raidit tout entier, incapable de faire un pas de plus. Ce n'est que quand il se souvint qu'ils avaient été aidés qu'il se détendit quelque peu : avec tout ce qui se bousculait dans sa tête, il l'avait presque oublié. Néanmoins, il n'avait toujours pas idée de son identité... S'il reprit sa marche, il fallut attendre que le Lucifer paraisse clairement à sa vue pour qu'il soit pleinement rassuré, au moins à ce propos. S'il aurait pu encore douter de la personne à bord, Christina ne lui en laissa pas le temps.

Voilà qui expliquait pourquoi sa présence lui semblait familière ; restait à déterminer comment il avait pu le savoir... Plus tard. La perspective de grimper dans la main d'un MS capable de l'écraser comme si de rien n'était ne lui aurait pas paru être une si bonne idée en temps normal, mais le temps pressait. Prenant son courage à deux mains, il y posa le pied en premier aida Niimi à le suivre, veillant à ne pas plus la brusquer que la faire tomber. Bien que toujours incapable de prononcer un mot, il semblait qu'elle ait l'âme chevillée au corps... Pour le moment.

« Merci. » répondit-il, sans certitude qu'elle puisse l'entendre.

Il ne put s'empêcher de tressaillir quand commença l'élévation, bien qu'elle ne durât qu'une poignée de secondes et même moins. Même s'il avait dû s'habituer à côtoyer ces machines au quotidien, il était toujours aussi réticent à l'idée qu'une vie puisse en dépendre... Le plus rude fut de trouver de la place pour deux dans un cockpit normalement réservé à l'usage d'une seule personne, et à fortiori de trouver une position stable. Ce fut au détriment de son confort, mais s'il fallait cela pour permettre son sauvetage, c'était un maigre sacrifice.

L'Overlord étant resté allumé durant le temps où il en était sorti, Shinji n'eût besoin que d'un instant pour établir la connexion - d'autant qu'il avait déjà été relié au Lucifer il n'y a point si longtemps. Si quelqu'un lui avait dit qu'un jour, cet appareil lui apparaîtrait comme une figure réconfortante... Pour le sien propre, il y avait encore du travail - même si, s'il lui octroyait la possibilité de sauver la demoiselle, nul doute que cela jouerait en sa faveur. S'efforçant de ne pas regarder du côté de sa blessure (toujours aussi laide quel que soit l'angle), il commença à s'élever dans les airs. Plus vite !

« On n'a pas le temps de retourner jusqu'à la Cité. Je vais aller vers le camp où nous nous trouvions, ils devraient avoir de quoi au moins la stabiliser. » S'ils sont encore en état de le faire... Foutue Scydonia.

* Le camp? Quel camp? *

CC quelle mission ces deux là étaient entrain de faire. Elle ignorait son contexte, son empalcement, tout. Alors, même si elle avait plus d'expérience et un plus haut grade que Shinji, elle hocha la tête sans hésiter.

Communication CC >> Shinji:
- Bien reçu, je vais vous escorter jusque là bas.

Sait on jamais si les autres comiques retentaient un assaut. Pour l'instant ça ne semblait pas être le cas (elle le verrait sur ses radars, et sentirait en plus l'autre newtype revenir) mais elle préférait rester prudente.

* Je vois très mal Shinji piloter alors qu'il a déjà une grande blessée à transporter. *

Le Lucifer s'éleva dans les airs à son tour et la spacenoïd suivi Shinji. Elle restait volontairement légèrement à l'écart. Elle voulait être assez proche pour intervenir en cas de réel nécessité, mais assez loin pour ne pas le déranger. Piloter avec Niimi ne devant pas être facile pour lui autant ne pas en rajouter en lui demandant un vol millimétré, il fallait lui laisser une marge d'erreur.

Les râles de Niimi était un véritable crève-coeur ; Shinji ne pouvait s'empêcher de penser qu'ils lui étaient dus. Son pilotage était encore brusque, et il n'avait jamais été prévu pour transporter un  passager, blessé encore moins. Néanmoins, ils avaient le mérite de démontrer qu'elle était encore des leurs. Mais pour combien de temps ? L'Overlord n'était pas l'appareil le plus rapide qui soit, même s'il avait de quoi se défendre. En un sens, peut-être aurait-il mieux valu la charger au sein du Lucifer...

Mais d'après la forme effilée de celui-ci, la place devait y manquer plus encore, et Christina était beaucoup plus à même de les escorter que l'inverse. Surtout dans son état. Lui expliquer ce qu'ils étaient venus faire ici à la base ne lui serait pas venu à l'esprit ; non pas parce qu'il pensait qu'elle le savait, mais bien parce que c'était une donnée reléguée au second plan de sa pensée. Voire au troisième.
Oui, tout ce qui importait, c'était qu'elle soit là, et qu'elle les protège ; ainsi put-il pleinement se concentrer sur ce qu'il faisait. L'affrontement ne les ayant pas tant que ça éloignés du village, ils eurent tôt fait de l'apercevoir à nouveau. Ikari amorça la descente dès que ce fut le cas, manquant presque de partir en piqué - mais tenant assez fermement la blessée pour qu'elle n'en pâtisse pas.

Dès qu'ils comprirent que l'appareil était le sien, les militaires restés pour protéger l'endroit sortirent de leurs cachettes, lourdement armés - quand bien même c'était encore insuffisant pour inquiéter un mecha. Épongeant une fois encore le sang qui lui coulait du front, il ouvrit le cockpit en grand ; ce n'était pas son état à lui qui devait retenir leur attention. La tête lui tournait, mais pas assez pour l'empêcher de s'exprimer.

« Vite ! Elle est blessée ! Occupez-vous d'elle, ne vous souciez pas de... Moi... »

Tout juste l'eût-on déchargé de son colis humain qu'il chancela à son tour, retombant de tout son poids contre le siège. Comme si le simple fait d'être bel et bien arrivé jusqu'ici le libérait de la tension qui l'accaparait jusqu'alors, lui permettant enfin de se rendre un peu mieux compte de son propre état - lamentable. Son corps était de plomb ; son esprit plus lourd encore. Lové contre le cuir bien malgré lui, il porta la main à son crâne dans l'espoir - vain - d'en apaiser les douleurs lancinantes. C'est d'un air absent qu'il la regarda s'éloigner, comme déconnecté de la réalité.

Il avait fait plus que sa part : à présent, c'était à eux de jouer.