Si on ne pouvait déjà pas se permettre de déployer un MS pour des peccadilles, alors deux... Mais il n'était pas dans la tête des pontes de la Cité, et s'en passait bien. Même s'il était le cerveau des opérations pour cette fois, il n'en agissait pas moins sur ordre de leur part. Il se contenterait de faire ce qu'on lui avait demandé, sans se poser - trop - de questions. C'était encore le mieux à faire s'il ne voulait pas que ses doutes se transforment en certitude... Dans le mauvais sens du terme.

« À l'heure qu'il est, la plupart des habitants ont dû être évacués. Ils étaient réticents mais j'imagine qu'on leur a fait comprendre que c'était préférable pour qu'on ait les mains libres. »

C'était à peu près la seule donnée rassurante que comporte l'ordre de mission, d'ailleurs. Savoir que les chances de blesser des civils par accident était moindre avait de quoi rasséréner, en particulier un débutant comme lui. Il n'avait que trop peu confiance en son peu de capacités. Et s'il ne supportait déjà pas d'avoir du sang de fautifs sur les mains, alors celui d'innocents...

« Enfin, j'aimerais autant éviter de causer d'autres dégâts matériels, si possible. » crut-il bon de préciser, bien qu'elle doive déjà s'en douter - en plus de penser de même, pouvait-il espérer.

Oui... Ces pauvres gens avaient déjà bien assez souffert de la situation. Les pertes, humaines comme immobilières, prenaient tout de suite une autre ampleur dans des communautés de si petites envergure. Ce qui n'aurait eu que peu d'impact sur la Cité, vaste comme elle était, serait pour eux une menace à leur survie, à leur bien-être. En un sens, nul ne les avait forcés à vivre ici... Mais Shinji préférait ne pas raisonner de cette manière. Cela lui rappelait trop son père.

Tout au courant qu'ils soient d'une intervention militaire, pour l'avoir sollicitée, ils n'étaient pas obligés d'en avoir tous les détails - encore moins d'y assister. Si certains d'entre eux ne devaient guère être enthousiastes à l'idée de laisser leur maison, leur village sans surveillance d'ici à ce que tout soit réglé, il ne dépendait que d'eux qu'ils n'aient pas à le regretter. Même si leur (sur)vie était le principal, et donc l'élimination du monstre, à quoi bon être épargné si c'était pour ne plus rien avoir ?

« On ne devrait plus être très loin. »

« Ils n'ont sans doute jamais vu de MS auparavant. Je pense qu'ils ne se rendent pas compte. »

Les différents mechas récupérés par la Cité contrastant radicalement avec le reste de sa technologie, militaire comme le reste, il était logique que des personnes coupées du monde - ou peu s'en faut - ne s'attendent pas à en voir surgir. Cela avait pu être tant un facteur de persuasion pour ceux qui étaient partis qu'une raison pour d'autres de rester, ignorant qu'ils étaient du calibre des armes employées... Ou curieux de les voir à l'oeuvre. Même si Shinji ne comprendrait jamais ce qu'il y avait de passionnant à regarder un instrument de mort en gros plan.

« Oui, je suppose. Avec un peu de chance, ils partiront d'eux-mêmes en nous voyant arriver. »

Se faire appeler chef était véritablement quelque chose à quoi il n'était pas préparé. C'était si irréel qu'il avait l'impression de rêver - ou plutôt de cauchemarder. Mais non. Malheureusement, ils étaient bel et bien en route pour voir ces bestioles de plus près. Et plus ça allait, moins il doutait de leur existence à elles aussi... Pour son grand désarroi. Mais il n'avait guère le choix. L'appellation était si étrangère à son oreille qu'il mit un moment à réaliser que c'était à lui qu'elle s'adressait.

Non, définitivement, ce rôle n'était pas fait pour lui. Il avait toujours été un suiveur, pas un meneur. Plus habilité à se laisser porter par le courant qu'à en donner le sens... Et cela lui allait très bien. Mais apparemment, quelqu'un avait décidé de changer ça, et il lui fallait faire avec. Pour couronner le tout, dans le cadre de sa première expérience - si l'on peut dire - avec une de ces espèces... Exotiques. Plus il examinait mentalement ce schéma, moins il lui voyait de possibilité d'issue heureuse.

« Je n'ai pas beaucoup d'expérience de combat. » Autant jouer cartes sur table. « Espérons qu'il ne soit pas trop coriace. »

À l'horizon, le relief commença à se modifier, indiquant les prémices d'une région habitable - selon toute probabilité, celle où ils devaient aller. Au rythme où ils allaient, ils ne tarderaient sans doute pas à apercevoir les palissades du village - même si c'était dérisoire comparé aux remparts de la Cité, il ne les voyait pas rester sans protection. Ce qui rendait d'autant plus inquiétante cette incursion : pour que ce monstre ne les dérange que maintenant, d'où était-il venu pour commencer ?

Son entraînement ? Pour le peu qu'il en avait eu, ce n'était pas ça qui allait changer la donne. Non qu'il soit mauvais, bien au contraire, mais en terme d'heures de pratique, toute la qualité du monde n'aurait pas prévalu sur la quantité d'une formation ordinaire. Là où ceux qui suivaient un parcours classique étaient longuement abreuvés de tout ce qu'il leur fallait pour remplir ce rôle à la perfection (ou s'en rapprocher), lui apprenait sur le tas... Et constatait un peu plus à chaque passage la prépondérance de ses lacunes.

Évidemment, Shu faisait ce qu'il pouvait pour compenser, mais il n'avait pas que ça à faire et cela ne remplaçait pas des heures et des heures passées à raffiner un talent brut. Talent qu'il était loin d'avoir, par ailleurs. Malgré tout, il appréciait les efforts de Niimi pour le réconforter - non que ce soit très efficace, mais le geste était là. Il savait ce qu'il était, ce qu'il valait - soit pas grand chose. Et ça lui allait comme ça. Il faisait avec. Pouvait-il seulement faire autrement ?

« On devrait éviter de les laisser près de l'eau. »

Déjà que l'efficacité de leur équipement restait à prouver, il ne tenait pas à voir en plus son appareil être entraîné et englouti par les flots. D'autant qu'au vu de la voracité de l'entité, il doutait alors fort de le revoir un jour - ou pas en un seul morceau. Encore que c'eût été un bon moyen d'en être débarrassé une fois pour toute... Mais ce serait alors à Niimi de payer les pots cassés. Et s'il se qualifiait lui-même d'égoïste, Ikari ne l'était pas au point de l'abandonner à son sort au nom d'histoires personnelles dont elle ne connaissait même pas l'existence.

Par chance, il réussit à poser son engin sans faire de dégâts, à l'écart des habitations. Un instant, il ne craignit que le souffle levé par les réacteurs ne fasse s'envoler l'une ou l'autre des toitures voisines, mais les masures étaient plus solides qu'elles n'en avaient l'air. Avant qu'il ne coupe l'alimentation - et avec elle les caméras -, il put voir que déjà, l'unité chargée de garder les lieux sous surveillance s'approchait d'eux. Prenant le temps d'inspirer longuement, il sortit de son véhicule. Ayant pris soin de l'accroupir pour faciliter descente comme remontée, il n'eût aucun mal à s'en laisser tomber.

« Salutations, monsieur. Madame. » fit en se courbant celui qui devait être le chef de section quand Niimi sortit à son tour. « L'évacuation s'est terminée il y a deux heures treize minutes exactement. Il ne reste plus personne à part vous. »
« Vous pouvez y aller. Nous allons prendre les choses en main. »

Il s'était efforcé de paraître aussi solennel que possible, mais n'était pas sûr d'avoir su produire l'effet escompté, ayant même l'impression d'être plus ridicule qu'autre chose... Le manque d'habitude, sans doute. En tout cas, si cela les avait amusés, les soldats n'en laissèrent rien paraître. Se fendant d'un rigoureux salut militaire, ils s'en furent d'un pas synchrone vers la jeep qui les attendait... Bien qu'il devinât chez eux une certaine hâte de vider les lieux. Il doutait qu'ils aient été témoin de quelque chose, mais eux non plus ne devaient pas être très à l'aise avec de telles rumeurs.

Compréhensible. Si on en rigolait du temps où ces chimères se cassaient les dents sur les fortifications, la blague était beaucoup moins drôle depuis qu'ils avaient franchi les murs de la Cité... Son regard s'attarda un instant sur l'Overlord, dont les ailes qu'il n'avait replié qu'à demi donnaient de vagues airs séraphiques. Tu parles. Un ange de la mort, oui. Mais tant qu'à s'infliger son pilotage, puisse-t-il au moins être à la hauteur de la tâche qui les attendait. C'était en tout cas rassurant de savoir qu'aucune vie humaine n'était en jeu... À part les leurs.

Le gradé n'avait pas menti : lui et ses troupes avaient fait du bon travail. Il ne restait pas l'ombre d'une âme qui vive dans les parages, probablement sur des kilomètres à la ronde. Eux mis à part, l'endroit ressemblait à une sorte d'éden perdu en pleine nature, à peine effleuré par l'homme pour y construire de quoi s'abriter. Malgré sa civilisation relativement peu avancée par rapport à ce qu'elle avait pu être, la Cité était déjà excessivement moderne en comparaison. La pollution faisait hélas partie du lot. Quand on s'arme pour partir au combat, il faut bien que les usines tournent à plein régime...

« On devrait explorer les alentours. » suggéra-t-il en se retournant pour aviser sa partenaire.

« Merci. » rétorqua-t-il, cependant toujours aussi peu convaincu.

L'important était que les soldats y croient. Même s'il ne se faisait pas d'illusion : ils ne le prendraient jamais autant au sérieux qu'ils le feraient avec un adulte. Et comment leur en vouloir ? Ce n'était pas comme s'il pouvait se targuer de parler avec eux sur un pied d'égalité. Même si son statut de pilote en faisait un privilégié, c'était bien la seule chose qui leur faisait poser les yeux sur lui. Si on lui retirait ça, il ne se rait qu'un gamin perdu au milieu d'affaires de grande personne. Et, là encore, il ne pourrait que leur donner raison...

Maîtriser la situation, ils en étaient loin. Mais effectivement, l'important étaient qu'ils le croient - même si, dépendamment de leur propre expérience, certains d'entre eux devaient voir clair dans son jeu. Qu'importe. Bientôt, eux non plus ne seraient plus là, les laissant en tête à tête avec cette rumeur un peu trop concrète à son goût. Tout en cheminant dans l'enceinte du village, appréciant le calme souverain qui y régnait, l'adolescent laissa son regard errer sur le sol. Même si cette créature s'attaquait à des pêcheurs, cela ne voulait pas dire qu'elle n'avait pas laissé de traces sur la terre ferme.

« Nous ne l'avons pas vu personnellement, mais les résidents nous ont parlé d'une sorte de ver géant. Eux-mêmes ne l'ont qu'entraperçu, ils ont donc été incapables de nous en donner une description détaillée. » Il marqua une pause. « Y'a-t-il autre chose ? »
« Géant comment ? » intervint Shinji tandis qu'il pénétrait dans la tente.
« On parle d'une dizaine de mètres au moins. Peut-être plus. Vous n'aurez sans doute pas de trop de vos appareils pour en venir à bout, si vous voulez mon avis. »

Shinji peina à déglutir. Ce n'était effectivement pas rien. En même temps, il ne fallait pas s'attendre à moins. Quand on voyait l'état lamentable dans lequel ses « semblables » avaient laissé la Cité lors de leur passage, il ne fallait pas s'attendre à les trouver en autre chose qu'en grand format. De ce qu'on lui en avait décrit, certains étaient même pire encore. Ils pouvaient s'estimer heureux... Enfin, dans une moindre mesure. Mieux valait ne pas parler trop vite et attendre de l'avoir vu avant de se prononcer. Sa taille n'aurait pas grande incidence s'il avait le pouvoir de les vaporiser en éternuant...

Shinji se pencha sur la carte à son tour. La zone de pêche étant limitrophe de la Cité, cela faisait bien longtemps qu'on l'avait cartographiée - et en détails, encore bien. On y distinguait parfaitement le relief, et les soldats avaient visiblement prospecté les environs pour y ajouter des notes de leur cru. Même s'ils n'avaient pu aller très loin, sachant pertinemment qu'ils ne seraient pas de taille si monstre il y avait, Shinji ne pouvait qu'apprécier leur dévouement. Il n'était même pas sûr qu'on leur en ait donné l'ordre, et ce n'était assurément pas lui qui aurait fait ça de son propre chef.

Il ne pouvait en tout cas que leur en être reconnaissant : cet excès de zèle de leur part - si c'en était un - leur serait sans doute très utile. Déjà, à en juger par les indications données, ils n'avaient rien trouvé dans les proches parages... Ce qui signifiait soit qu'il était plus loin encore, et donc hors de leur portée, soit qu'il était proche mais excessivement bien caché - au point qu'ils n'aient rien remarqué. L'adolescent préférait pour l'heure écarter cette dernière hypothèse, n'étant pas très à l'aise avec l'idée que l'ennemi puisse se trouver en ce moment-même sous leurs pieds...

« Oui, vous avez raison. »

Ils s'entendaient sur le fait que rester ici à l'attendre n'était pas la solution, encore moins s'ils souhaitaient préserver les habitations. Et outre le fait qu'ils bénéficieraient ainsi de tous les capteurs de leurs appareils - encore qu'il ne sache pas très bien s'en servir -, mais ils seraient surtout bien plus à l'abri. S'ils devaient tomber nez à nez avec cette chose, Shinji préférait que ce soit aux commandes de sa machine. D'autant qu'il ne portait sur lui aucune arme, rien d'autre que sa combinaison, même s'il doutait que cela aurait changé grand chose.

« Je vais prendre ça, si vous permettez. »

Et de faire main basse sur le plan de la région, après avoir reçu l'aval de ceux qui l'avaient amenée. De toute façon, ills n'allaient certainement pas s'éterniser maintenant que la « vraie » force d'intervention était là pour prendre les choses en main. La pliant consciencieusement, il se la cala sous le bras de sorte à pouvoir l'emporter pour le trajet qui les attendait. Même avec une technologie de pointe, trouver sa cachette pourrait prendre un moment... Échangeant les dernières salutations, ils se virent proposer d'être raccompagnés à leurs « véhicules » par les soldats - ce que Shinji accepta pour ne pas les froisser.

« Ah, au fait, avant que nous partions, pourriez-vous nous montr - »
« À TERRE ! »

Avant d'avoir pu comprendre ce qui se passait, Shinji se retrouva plaqué au sol. Tout ce qu'il vit fut une lumière aveuglante, accompagnée d'une chaleur si dense qu'elle en était presque palpable. Il y eût des cris, mais la chute l'avait trop sonné pour qu'il comprenne d'où ils venaient et à quoi ils étaient dus. Quand le bourdonnement de ses oreilles cessa et qu'il entreprit de se relever, ce fut pour découvrir... Qu'une partie du paysage avait disparu, ni plus ni moins. La terre, si elle n'avait pas été touchée, s'était vue retournée par le faisceau tant il était passé près. Et dans les inégalités de ce sol intact coulait un ruisseau sanglant.

L'homme qui l'avait protégé était heureusement indemne, mais tous n'avaient pas eu cette chance. L'un de ceux qui encadrait Niimi n'avait pas reculé à temps après s'être assuré qu'elle n'avance pas plus et cela lui avait coûté une de ses jambes. La coupure était si nette qu'on aurait pu croire qu'elle n'avait jamais été là s'il n'y avait eu l'hémorragie. Shinji eût envie de vomir. Mais, dans un élan de sang-froid, il retraça la trajectoire du tir - qui, de toute évidence, n'avait que peu à envier aux lasers dont leurs MS étaient équipés. Au milieu de la poussière, tout ce qu'il réussit à discerner fut une ombre lointaine... Et immense.

Il savait qu'ils étaient là, il n'était à présent plus permis d'en douter.

Shinji détourna le regard, ne pouvant supporter la vue du sang. Assister à ce qui était arrivé à Full l'avait rendu malade pendant des semaines, il ne tenait pas à en refaire l'expérience. Au moins, le malheureux était en vie... Pourvu qu'on parvienne à le sauver. Par chance, les autres hommes de l'unité avaient reçu une formation pour ce genre de cas de figure. Déjà, l'un d'entre eux s'attelait à faire un garrot de sa jambe de pantalon lacérée, pour au moins freiner l'effusion d'ici à ce qu'ils puissent correctement le soigner.

L'adolescent n'osait croire que l'on puisse être capable d'un tel sang-froid dans un moment pareil, mais n'avait pas le temps de s'y intéresser. D'abord rampant, puis grattant le sol pour se relever, il finit par se remettre debout. Sa tête resta néanmoins baissée pour ne pas faire une cible trop évidente - même si le rideau de fumée généré par l'attaque de la bête devait la gêner autant qu'eux.Son corps battait à tout rompre dans sa poitrine, et il s'étonnait que ses membres ne se soient pas encore liquéfiés sous l'effet de la peur.

Était-ce donc cela qu'on appelait l'instinct de survie ? Qu'il ait gardé la carte coincée sous le bras était une chance. Il n'aurait jamais eu la présence d'esprit de la ramasser si elle lui avait échappé. Dans quel enfer l'avait-on encore envoyé ? Il ne se retourna pas pour voir si on le suivait. Même s'il l'avait voulu, il n'aurait pas pu aider qui que ce soit - encore moins dans son état. Qu'il soit capable de sauver sa propre peau était déjà un exploit. L'une des jeeps avait été anéantie par le faisceau : une bonne moitié s'était totalement volatilisée, l'autre avait été disséminée par le recul.

Les deux restantes, à contrario, étaient encore en état. L'une d'entre elles avait été renversée par le souffle du rayon, mais les efforts conjugués des militaires parvinrent à la remettre sur pieds - ou sur roues. Les vitres avaient été brisées, mais ce serait un moindre mal comparé à ce qui leur arriverait s'ils restaient trop longtemps dans les parages. En se serrant bien, il y aurait eu assez de place pour tous y tenir... Mais deux bidasses, désireux de leur gagner du temps, dégainèrent leurs armes pour repartir tout droit dans l'écran de fumée.

« Non, arrêtez ! Ça ne sert à rien ! »

Soit ils ne l'entendirent pas, soit ils n'en tirent aucun compte. Lui-même n'avait aucune idée du volume donné à sa voix ; son ouïe souffrait encore trop de l'explosion pour entendre ce qu'il disait. Il n'aurait pas eu la force de leur courir après, mais on l'en empêcha de toute façon : ceinturé par l'un des hommes restants - celui-là même qui lui avait sauvé la vie -, il fut repoussé à l'intérieur du véhicule. Atterrissant pesamment sur le siège, il n'eut pas le temps de se redresser que le tout-terrain démarrait déjà avec deux personnes à son bord.

« Pourquoi ?! »

Ils n'eurent pas fait cent mètres que des cris et des coups de feu s'élevèrent au loin, sans qu'ils n'en distinguent quoi que ce soit. L'horizon était encore trouble des ravages causés. S'il serra bien les dents et les poings, l'enfant-pilote ne pouvait blâmer que sa propre insouciance. S'ils avaient débarquement directement au village à bord de leurs appareils, rien de tout cela ne se serait produit. Soudain, il se sentit défaillir ; portant la main à sa tempe qui, soudain, le lançait, il y découvrit un filet de sang. S'il n'en avait qu'une goutte sur les doigts, c'était celle de trop - et il s'évanouit.

Les chocs cumulés avaient eu raison du peu de conscience qu'il lui restait. La blessure était bénigne : on saignait facilement de la tête. L'éraflure d'un morceau de débris était plus qu'il n'en fallait pour causer un saignement relativement abondant. Le sang qu'il avait sur les mains - au propre comme au figuré - s'était chargé de l'achever. Son sommeil (si l'on peut dire) était toutefois peu profond ; il ne mit pas longtemps à réémerger. En fait, à peine la distance eut-elle fait taire les réacteurs du Nu qu'il rouvrait un oeil... Et, le jetant autour de lui, constata avec horreur l'absence de Niimi. Plusieurs soldats s'étaient pressés autour de lui pour lui donner les premiers soins ; il manqua de s'assommer contre le casque de l'un d'entre eux en se relevant d'un bond.

« La jeune femme qui était avec moi, où est-elle passée ? » s'exclama-t-il, paniqué.

Il n'attendit pas qu'on lui réponde. Apercevoir au loin la silhouette de l'autre machine après avoir remarqué son départ lui suffit. Il ne remarqua que trop tard qu'on essayait de lui mettre un bandage autour du bras, un éclat ayant manifestement déchiré sa combinaison. Tant pis, au temps pour l'étanchéité. Une autre bande de gaze, elle, lui cerclait le front pour arrêter le flot sanguin, mais il n'y prêta pas attention. Il ne prêta attention à rien. Même si les Mobile Suits étaient censés leur assurer une supériorité dans ce combat, rien n'assurait que ce soit effectivement le cas. Surtout après ça. Et quand bien même !

« Pourquoi l'avez-vous laissée partir ? »

Il n'attendit pas de réponse. Ce n'était pas la peine. Ils n'avaient pas discuter son autorité, voilà tout - mais il avait besoin de relâcher la pression. L'avantage à être glacé d'effroi fut qu'il n'eût pas même le temps de ressentir d'angoisse supplémentaire quand il grimpa dans son Mobile Suit. Le cockpit n'eût même pas le temps de finir de se refermer qu'il décollait déjà, sans guère de délicatesse. Cela ne lui avait demandé qu'une poignée de seconde, mais le Nu était déjà loin... Il tenta bien d'établir la communication, mais celles-ci semblaient ne plus fonctionner pour une raison obscure. Simple dysfonctionnement ou avait-il quelque chose dans ce faisceau susceptible de les brouiller ?

De son côté, la demoiselle était déjà aux prises avec la créature... Laquelle ne semblait pas pressée de retourner à l'eau, bien au contraire. La trouver ne fut pas bien difficile, puisqu'elle laissait derrière elle un sillage de sang - probablement ce qu'il restait des soldats qui s'étaient sacrifiés en leur nom. Non, la forme allongée était parfaitement à son aise sur le terrain - bien plus que ne le seraient les pilotes. Les nombreux pics rocheux qui hérissaient le coin rendaient la circulation difficile. S'ils n'y prenaient pas garde, ils auraient tôt fait d'aller s'empaler sur une aspérité embusquée... Si la fumée n'était pas encore retombée, Niimi pouvait désormais voir la majeure partie de l'invertébré.


Ainsi pouvait-elle découvrir que ce n'était pas un rampant, ou pas que en tout cas, comme la présence de membres le laissait présumer. Toute amphibie qu'elle soit, cette chose était de toute évidence taillée pour la terre ferme... La présence d'ailes ne faisant qu'y ajouter la possibilité angoissante qu'elle puisse également fendre les airs. Toutefois, si elle se mit bien à en battre, ce ne fut nullement pour s'envoler. Les bourrasques que leva son mouvement, en revanche, emplirent bientôt l'espace qui la séparait du Gundam - assez pour dévier les tirs qui ne rataient pas naturellement. Et si ces bourrasques pouvaient sembler défensives, les traces de lacération qu'elles laissaient sur le relief avaient tôt fait de persuader du contraire...

Si l'allure de l'hybride suggérait un corps huileux, ses déplacements ne faisaient qu'appuyer cette théorie. Entre sa silhouette ophidienne et ses multiples pattes, il était libre d'alterner son mode de déplacement pour une mobilité optimale. Sans parler de ces ailes qui, bien qu'en apparence trop petites pour le porter, avaient fait montre d'une puissance considérable... Qu'il soit en plus capable de nager n'était même plus surprenant au final. Une merveille d'évolution au service du massacre de l'humanité. Quand il l'eût en visuel, Shinji en resta un moment abasourdi, son esprit cartésien rejetant l'existence d'un tel amalgame.

« Vous m'entendez ? » essaya-t-il à nouveau.

Mais rien n'y faisait. Si la fréquence se rétablissait bien par moments, il suffisait d'un battement de cils pour qu'elle flanche à nouveau. À quoi que cela soit dû, ils allaient devoir faire avec... Déjà soulagé d'avoir pu la rejoindre, il ne pouvait qu'espérer que leur collaboration n'en serait pas impactée. Idyllique, sans doute, mais le plus dur était fait : trouver la cible à abattre. Et sur le traitement à lui donner, il pouvait être sûr qu'ils s'accordaient parfaitement. N'osant s'approcher pour ne pas être pris dans la ligne de mire, il constata que les rayons ayant touché au but, s'ils avaient bien brûlé l'animal (?), n'avaient pas percé sa peau.

Comme si elle avait en plus besoin d'un blindage naturel...  

« Je suis là ! » persista-t-il.

À défaut de mieux, Shinji arma les canons que l'Overlord portait sur la tête et relâcha sur la cible un feu nourri. Malheureusement, en tirant d'aussi loin, il n'y avait pas grand chose à espérer. Non seulement rares furent les balles à mettre dans le mille, mais en plus la distance réduisait leur puissance déjà dérisoire à presque rien. Il crut même en voir une ou deux ricocher purement et simplement sur la peau de l'espèce inconnue... Qui n'apprécia guère le traitement, néanmoins. C'est en tout cas ce qu'il déduisit du bond prodigieux qu'elle fit pour le rejoindre. Ses yeux se fermèrent d'eux-mêmes quand il vit ce qui devait être sa bouche se rapprocher à vive allure...

Un choc ébranla l'appareil, qui néanmoins tint bon. Si onéreux que ce soit en énergie, avoir dû pousser les moteurs à leur pinacle pour rattraper Niimi avait du bon. Sans rien y voir, Shinji fit se débattre l'Overlord dans l'espoir de s'en débarrasser... Pour finalement constater que cette étreinte n'était déjà plus d'actualité. Quand il rouvrit les yeux, elle avait déjà disparu entre les rochers, son méfait accompli. Car si elle ne s'était pas accrochée comme il avait pu le craindre, elle lui avait semble-t-il laissé un cadeau en souvenir. Du moins, s'il en jugeait par les coulées violacées qui ruisselaient sur son cockpit...

En tous sens, les capteurs s'affolèrent. Si la substance n'avait pas pénétré l'armure, les vapeurs qui en émanaient ne donnaient pas envie de l'approcher de plus près... À en juger par la manière qu'elle avait de ronger le métal, ce devait être soit une sorte d'acide, soit un poison très virulent. Dans les deux cas, plus loin ils en seraient et mieux cela vaudrait. Ils avaient décidément été bien avisés de sortir les Gundams. Sans eux pour les protéger, ils pourraient aussi bien être déjà en train de se dissoudre quelques dizaines de mètres en contrebas... Ou dans l'estomac de la bête. N'avoir plus trace de celle-ci était d'ailleurs plus inquiétant qu'autre chose...

Si son aspect n'était pas nécessairement des plus menaçants (quoique repoussant), elle représentait une menace réelle. S'il peinait à s'en rendre compte en se basant sur de simples rapports, des bruits de couloir, ça avait changé. L'avoir vue - ou entendue - dépiauter des personnes qui étaient encore bien vivantes l'instant d'avant n'y était pas pour rien. Et c'est en se remémorant ces cris que Shinji trouva la force de braver le danger pour continuer le combat. Tant qu'il était à l'intérieur, il ne pouvait rien lui arriver. Le métal le garderait du danger, il le lui devait. Même si le péril se présentait sous la forme d'une sorte de baiser de la mort...

« Allô ? Est-ce que vous me recevez ? » retenta-t-il une nouvelle fois.