Christina ne se fit pas prier : sans doute n'attendait-elle que son accord pour filer de la sorte. S'il avait attendu une seconde de plus, il était probable qu'elle l'aurait demandé par elle-même... Shinji n'était pas ravi d'être à la traîne : c'était peut-être la première fois qu'une de ses missions pour le compte de l'armée le menait vers quelque chose qu'il avait envie de faire - qui l'intéressait réellement. Et sans effusions de sang - d'huile, à la rigueur -, au moins pour le moment.
Certes, on ne lui demandait pas d'aimer son travail mais de le faire correctement - mais il était plaisant d'au voir qu'au moins une fois de temps en temps, il pouvait faire quelque chose n'allant pas à l'encontre de ses principes ou qui le hanterait pendant toute sa vie. Le Lucifer ne fut pas long à prendre de l'avance, mais Shinji maintint son rythme de croisière. Le point d'impact n'était pas loin : même avec un train de retard, il devrait pouvoir le rejoindre rapidement.

Alors qu'il se préparait à heurter le sol, le pseudo-corps céleste ralentit sa chute en produisant un... Parachute ? Doutant qu'un signal à distance puisse lui parvenir depuis les colonies, ça devait vouloir dire qu'il était programmé pour s'ouvrir de lui-même à un certain niveau du sol... Ou qu'il y avait quelqu'un à l'intérieur.
Shinji sentit un nœud se former dans son oeuvre : ça commençait à lui rappeler la mission qui les avait opposés à Full Frontal - et le sort sinistre offert par ce dernier au soldat qu'ils avaient secouru ce jour-là. Il garda pour lui cette réflexion, ne voulant pas donner de faux espoirs à Christina - mais ne put s'empêcher de croiser les doigts ; s'il y avait quelqu'un là-dedans, pourvu qu'il soit en bon état.

Même sans être au niveau du sol, le jeune pilote devina au bruit que le sol avait tremblé lors de l'impact. Si quelqu'un d'autre était après cet étrange colis, il saurait qu'il venait d'arriver... L'ayant vu s'enfoncer dans la forêt, Shinji prit naturellement de l'altitude ; il y avait des chances pour que l'imposante pièce de tissu ayant ralenti sa chute soit restée coincée dans les arbres et indique clairement sa position - sans parler du cratère qu'il avait dû creuser en atterrissant. Dans tous les cas, une vue aérienne semblait indiquée ; si Christina avait fini par le semer, elle avait dû y penser également.

« Vous voyez quelque chose ? »

La transmission en provenance du Lucifer confirma ses doutes : l'engin était bien habité. Façon de parler : il doutait que ce soit très agréable d'être installé là-dedans. Mais il avait déjà du mal à comprendre qu'on puisse se porter volontaire pour être jeté de la sorte sur une planète en sachant qu'il y avait autant de chances d'atterrir sain et sauf que d'exploser en plein vol, alors...

Il accéléra légèrement la cadence en entendant cette nouvelle ; si quoi que ce soit était allé de travers, il allait peut-être falloir aider l'occupant de cette navette, et il n'était pas dit que Christina y arrive seule. Non pas par manque d'adresse, mais parce que la manoeuvre pouvait requérir une seconde paire de mains - même aussi maladroites que les siennes.

Ayant l'avantage d'être plus en retrait, Shinji en profita pour sonder la zone à la recherche de dangers potentiels. Si un ennemi serait normalement apparu sur le radar, il était des choses que l'Overlord ne pouvait pas détecter. Une créature de même type que celle qu'il avait déjà affronté, par exemple, passerait inaperçue - en tout cas aux yeux de son Mobile Suit.

Bien sûr, les chances d'en croiser une aussi proche de la Cité étaient infimes, mais ce ne serait pas la première fois qu'ils auraient droit à une mauvaise surprise. Il préférait ne rien laisser au hasard : à quoi servait de se donner tant de mal si c'était pour échouer si près du but ? Christina était déjà sortie du Lucifer quand il finit par se poser.
Contrairement à elle, il préféra demeurer au sein de son appareil ; ce n'est pas qu'il n'était pas curieux d'aller voir de plus près, mais mieux valait qu'au moins l'un d'entre eux reste à bord pour les couvrir en cas d'attaque. Ce qui ne l'empêcha pas de porter son attention sur l'échange en train de se jouer, le silence de la forêt à cette heure tardive lui permettant d'entendre même les bruits étouffés provenant de la capsule.

« Est-ce que tout va bien ? » prit-il la peine de demander, restant toutefois sur ses gardes.

Malgré quelques difficultés, la navette finit par s'ouvrir. N'ayant détecté aucune menace immédiate, Shinji fit s'accroupir l'Overlord pour pouvoir y regarder de plus près. Non seulement la poussière ne s'était pas encore dissipée, mais l'engin dégageait aussi de la vapeur, rendu incandescent par son passage dans l'atmosphère terrestre.
S'il avait quelques connaissances scientifiques, Shinji restait intrigué par la qualité des métaux qui rendaient possible une telle prouesse. Certes, les Mobile Suits et autres « villes penchées » avaient réussi avant lui, mais ça restait une science hautement inexacte ; pour sa part, jamais il ne s'y serait risqué. Pour une poignée arrivée jusqu'à eux, combien s'étaient changés en cendres avant de parvenir jusqu'à eux...

Même en ne la voyant que depuis son cockpit - il préférait rester à bord pour le moment ; on n'est jamais trop prudent -, il paraissait évident que Christina avait du mal à maîtriser son impatience ; il craignit un instant qu'elle se blesse en tentant d'ouvrir la capsule avant qu'elle ait fini de refroidir.
Finalement, le passager réussit à s'extraire par ses propres moyens. Shinji savait à peu près à quoi s'attendre - après tout, Christina étant humaine, il n'y avait pas de raison qu'il ne le soit pas lui aussi - mais resta fasciné par son allure : il venait vraiment d'un autre monde. Et moi qui trouvais ma combinaison trop serrée.

Observant leur échange, Shinji en oublia presque qu'il se trouvait à quelques mètres à peine - qu'il était acteur et non spectateur ; il fallut que leur visiteur lui adresse un signe de la main pour lui rappeler. Dans un réflexe absurde, et un peu maladroit, c'est celle de l'Overlord qu'il utilisa pour rendre la politesse.

« Je... Euh... Je suis Shinji Ikari. » déclara-t-il d'une voix fluette, ne sachant réellement quel était le protocole pour une telle occasion.

L'étranger se mit à déambuler, prenant visiblement le temps de s'habituer à son environnement. Ça pouvait se comprendre : à en croire Christina, le peuple des colonies vivait là-haut depuis très longtemps. Certains n'avaient même jamais vu la Terre - en tout cas pas directement. Même en ayant lu à son sujet, en sachant à quoi s'attendre, ça devait faire un choc d'enfin débarquer après avoir passé toute sa vie dans l'espace.
Lui-même risquait d'être déstabilisé de la même façon, s'il arrivait un jour à voyager par-delà les nuages... Et cette étrange rencontre pourrait bien en être la clé. Même en ayant côtoyé Christina - et de près encore bien -, il restait troublant d'observer à quel point les représentants des colonies étaient normaux ; qu'importe qu'ils aient grandi sous un tout autre horizon, ils n'étaient pas si différents.

Sans surprise, l'opération grâce à laquelle il avait pu rallier la Terre s'était jouée à très peu de choses. Si certes cela demandait de l'abnégation de la part de leur envoyé, cela voulait surtout dire que l'UTI aurait aussi bien pu l'envoyer à la mort, tout ça pour réussir à entrer en contact... Étaient-ils à ce point désespérés ?

« Euh... De rien. » répondit-il, même s'il considérait n'être pas pour grand chose dans le soin apporté à Christina - si ce n'est pour l'aider à se nourrir correctement.

Malgré sa prudence, Shinji finit par se résoudre à ouvrir le panneau menant au cockpit ; il serait plus facile de poursuivre la conversation. Il ne prit pas la peine d'en descendre pour autant, la position de son appareil - genou à terre - le laissant déjà assez proche du niveau du sol. Mieux valait pouvoir le relancer rapidement en cas d'agression ; même s'il n'avait rien détecté, ça ne voulait pas dire qu'ils étaient à l'abri. Cela lui permit toutefois de saisir la sacoche qui traînait à ses côtés - celle contenant les fournitures militaires standards - pour la mettre en évidence :

« Je... J'ai des rations militaires, si vous voulez. Ce n'est pas grand chose, mais...  »

Intimidé, Shinji préféra rester en retrait avec toute la timidité qu'on pouvait attendre de sa part. Ce n'était pas qu'il n'avait pas de questions à poser, mais plutôt qu'il ne savait pas par où commencer. Qui plus est, à moins de vouloir des nouvelles « fraîches », il pouvait tout aussi bien demander à Christina - qui n'allait elle-même sûrement pas tarder à demander une mise à jour.
Abandonner sa ration ne lui faisait ni chaud ni froid ; non seulement était-il peu probable qu'ils s'attardent dehors à ce rythme, mais en plus était-il trop tendu que pour avoir vraiment envie de manger - surtout une nourriture aussi médiocre.

L'enfant-pilote se chargea de ramasser du bois pour le feu ; il n'était pas un expert en survie - très loin de là - mais ses missions l'avaient suffisamment laissé dehors pour pouvoir au moins identifier les branches adaptées.
Il ne s'aventura pas trop loin, néanmoins ; même si Christina l'avait tout de suite reconnu comme un allié, il ne le connaissait pas encore assez pour être tout à fait en confiance...Et de toute façon, mieux valait ne pas trop s'éloigner de son appareil, qui sans son pilote ne serait qu'une énorme cible potentielle.

S'il ne se souciait guère de sa destruction, il serait ensuite nettement plus difficile de rentrer à la Cité - sans compter qu'il ne servirait à rien lors d'un combat potentiel. Les bras chargés de combustible, il revint vers le campement d'appoint que la navette et leurs appareils avaient aménagé sans le vouloir au beau milieu de la forêt, juste à temps pour entendre les dernières phrases échangées.
Vacillant déjà sous son poids, il faillit laisser échapper son chargement. Une attaque de grande envergure ? Si Christina lui avait indiqué assez clairement que leur population était en baisse au moment de son départ, il avait du mal à imaginer ce que ce terme pouvait vouloir dire de leur point de vue. Dans tous les cas, s'il comprenait que ça puisse paraître nécessaire, ajouter de nouvelles forces à une guerre qui faisait déjà trop de victimes n'avait pas l'air d'une bonne idée...

« Comment comptez-vous faire ? » demanda-t-il en s'efforçant de cacher le léger malaise que cette perspective avait fait naître en lui. « Et comment ça, « en partie » ? »