Comme il s'y était attendu, Christina préférait qu'il reste à l'écart. Il était vrai que le geste pouvait sembler louche, surtout aux commandes d'une masse de métal pesant près d'une vingtaine de tonnes. À quoi pensait-il ? Et même si la surprise n'était pas à la mesure des précédentes, il s'étonna tout de même qu'elle s'inquiète pour lui. Ce n'était peut-être que purement technique - pour savoir combien de temps ils pourraient encore voler - mais l'attention lui faisait plaisir malgré tout. Rien ne l'obligeait à se soucier de pareils détails...

« Pas vraiment. Je ne risque pas de réussir à dormir, après tout ça. »

Il le faudrait bien pourtant. Ils avaient encore une longue route à faire avant que la Cité soit ne serait-ce qu'en vue. Même s'il avait du mal à se rendre compte de la distance parcourue, le nombre de jours qu'il leur avait fallu pour arriver jusqu'ici était là pour y aider. Il voulut retourner la question mais s'en retint finalement. Même s'il commençait à se sentir mieux vis-à-vis d'elle, il en était encore à chercher ses marques... Mais il devait avouer apprécier le moment, même avec tout ce qu'il avait fallu traverser pour y avoir droit.

« Et... Comment c'est, là-haut ? »

Il avait un peu hésité avant de lui demander - par gêne, principalement. Il avait l'impression de pénétrer dans sa vie privée sans forcément se soucier de son avis. Bien sûr, elle pouvait lui en refuser l'accès à tout moment, mais il n'aimerait pas atteindre malgré lui un point où le sujet la mettrait mal à l'aise. La fascination l'avait néanmoins emporté. Même s'il n'avait aucune preuve de ce qu'elle avançait, il avait envie d'y croire. Ce monde-ci n'avait rien à lui offrir : et là-haut, qu'en était-il ?

« Enfin, je comprendrais que vous ne vouliez pas en parler. »

Pas étonnant... Elle aussi risqué de manqué de sommeil dans les jours à venir à cause des futurs nuits difficiles. Il faudrait tout de même qu'il s'arrête pour manger et reprendre des forces.... plus tard. La nuit était enfin tombée mais ils continuaient de voler dans le ciel, tout était calme, rien sur les radars.

Communication CC >>> Shinji:
- Ça ne me gène pas vraiment mais... Il n'y a pas grand chose à dire.
Là haut, tout est froid, gris, mort. Les gens souffrent de la faim bien plus que dans votre ville. Ils finiront surement par manquer d'eau ou d’oxygène...

Même si le stock était important, il suffirait d'un simple incident pour les anéantir. Ce n'était pas pour rien que les colonies étaient désertes, mal-entretenues et tombés sur la planète.

Shinji devait s'avouer un peu déçu. Cependant, il comprenait mieux à présent pourquoi tous ces débris tombaient du ciel. Si les villes « là-haut » tombaient à court d'énergie les unes après les autres, leur chute était inéluctable... Entreprendre un si long voyage, et n'avoir que leur propre fin en guise de destination... Une telle technologie, et tout ça pour quoi ? S'élevait-on jusqu'aux sommets uniquement pour mieux en retomber ? Il y avait quelque chose de beau et effroyable à la fois dans cette vision. Il regarderait les cieux et leurs étoiles d'un autre œil, à présent.

« Comment est-ce arrivé ? »

Sans jamais avoir visité l'espace (hélas), l'adolescent arrivait assez bien à s'imaginer à quoi cela pouvait ressembler. Certainement pas autant qu'elle qui y avait vécu, évidemment, mais l'imagination due à son âge compensait habilement son ignorance. Et malgré le portrait fort peu reluisant qu'elle lui en peignait, il ne pouvait s'empêcher d'en éprouver une certaine fascination. C'était tellement au-delà de tout ce qu'on pouvait imaginer ! Ce qu'ils avaient ici-bas lui semblait presque être resté à l'âge du feu et de la roue en comparaison.

« Et... Si c'est si difficile là-bas, pourquoi ne descendent-ils pas ? »

Elle avait bien réussi, elle : pourquoi pas eux ? Bien sûr, il y avait des risques - l'atterrissage raté du défunt pilote de tout à l'heure en était la preuve - mais c'était toujours mieux qu'une mort assurée. À l'entendre, tous ceux qui vivaient là-bas étaient condamnés à moyen terme. Aussi, même s'il devait y en avoir qui tenaient à rester, les autres pouvaient bien tenter leur chance sur Terre. Même s'il fallait bien admettre que la transition serait abrupte. Les interrogations se bousculaient dans son esprit, tandis qu'il tentait d'y faire respecter la frontière de plus en plus floue entre réalité et science-fiction...

Communication CC >>> Shinji:
- Ça n'a pas d'importance...

C'était tellement ancien... Pourtant CC le savait très bien: la guerre, et un virus du nom de "Valdam" voilà, ce qui avait presque éliminé la population des colonies.

Communication CC >>> Shinji:
- Parce qu'il reste un espoir. Celui de rendre les aller-retour entre planète et colonie à nouveau possible. Nous tenons bien trop à notre "ville" pour l'abandonner au premier coup dur.

* Surtout si c'est pour devenir le voisin de notre ennemi. *

Son cerveau compilait les informations au fur et à mesure, tentant d'écrémer le fantasme pour ne garder que les faits. Il sentait avoir touché une zone d'ombre en s'interrogeant sur la cause de ce sinistre, mais n'insisterait pas plus. Elle était déjà bien gentille de vouloir partager avec lui un savoir qu'il devinait hautement confidentiel. Qui d'autre pouvait bien être au courant, d'ailleurs ? Même s'il se sentait privilégié, il ne s'imaginait tout de même pas être le premier. L'Empereur devait fatalement être dans la confidence, sans quoi elle n'aurait pu s'en cacher jusqu'à aujourd'hui. Pour le reste, il n'en avait aucune idée.

« Dans ce cas, pourquoi ne viennent-ils pas nous donner les moyens de le faire ? » Il réfléchit à ce qu'il venait de dire et s'avisa que cela méritait précision(s). « Je sais que nous n'avons pas la capacité d'aller là-haut... Pas encore, du moins. Mais eux ? Enfin, vous. »

Il avait le sentiment d'oublier une donnée, de passer à côté de quelque chose d'important, mais il préférait lui donner son ressenti, sa pensée à chaud. Ne serait-ce pas plus simple que d'attendre qu'ils récupèrent la technologie nécessaire par leurs propres moyens ? Sans quoi à ce rythme, ce ne serait pas avant très longtemps. L'échec de la dernière tentative en date, largement occulté, ne lui donnait pas envie d'y croire. Pourquoi attendre quand tout ce dont ils avaient besoin était à portée de main ? À quelques années-lumières près...

« Je veux dire... Cette technologie, ils l'ont, non ? Il a bien fallu aller là-bas pour les construire, ces colonies. » La sonorité du terme était plaisante. Ça avait autrement plus de panache que « ville penchée ». « Et d'ailleurs... D'où venaient-ils à la base ? »

Communication CC >>> Shinji:
- On voit que tu n'as pas assisté au dernier lancement en date...

CC soupira.

Communication CC >>> Shinji:
- Vous avez la technologie nécessaire, le souci, c'est le laser qui atomise tout ce qui part de cette fichue planète. On peut se poser, mais on ne peut pas repartir.

CC fronça les sourcils... D'où venaient-ils? Comment ça?

Communication CC >>> Shinji:
- Tu poses des questions étranges.

« Non. Je sais que ça s'est mal passé, mais c'est tout. »

La majeure partie des détails - surtout « sensibles » - avaient été cachés du public. Il n'était pas encore soldat à l'époque, et il ne lui était pas venu à l'idée d'aller chercher les archives relatives. L'accès en était probablement restreint, de toute façon : sa qualité de simple soldat était loin de lui ouvrir toutes les portes... Ou tous les dossiers. Ainsi donc, ils avaient d'ores et déjà de quoi y aller, et quelque chose les en empêchait... Mais quoi ?

« Désolé. »

L'entendre soupirer lui avait noué la gorge. Il avait l'impression d'être stupide et de poser des questions en conséquence. Néanmoins, elle devait bien se douter - ou savoir d'expérience  - que ce n'était pas facile d'appréhender les détails de cette civilisation qu'elle était seule à connaître. Elle venait littéralement d'un autre monde ! En s'en faisant la remarque, Shinji se sentit admiratif envers elle, même si ça ne devait pas être si facile à vivre. Être venue de si loin...

« Les gens qui ont bâti ces colonies... Est-ce qu'ils étaient humains ? Est-ce qu'ils venaient de la Terre ? Si oui, pourquoi eux n'ont-ils pas été pulvérisés en y allant ? »

Et les deux MS continuaient de voler, filant vers la Cité.

Communication CC >>> Shinji:
- Evidemment qu'ils étaient humains.

Il croyait aux petits hommes verts super-évolués technologiquement parlant?

Communication CC >>> Shinji:
- Je n'en sais rien, je n'étais pas née à l'époque. Ça remonte à bien trop loin.

CC accéléra le rythme, pressée de rentrer et d'essayer d'oublier ce qui venait de se passer.

Sa réponse lui arracha un soupir de soulagement. En s'en rendant compte, l'adolescent rougit jusqu'aux oreilles, espérant qu'elle ne l'ait pas entendu. Pour elle, c'était peut-être l'évidence même, mais le doute n'était-il pas légitime ? Au-delà de toute peur de l'inconnu, de l'étranger, l'humanité s'en sortait déjà assez bien dans sa propre déchéance sans qu'une nouvelle espèce vienne s'en mêler. Des humains, donc. Penser qu'il y ait pu avoir sur cette Terre un peuple aussi évolué le laissait songeur.

« Sans doute plus de deux siècles... » estima-t-il à voix haute.

Qu'est-ce qui avait bien pu causer une telle régression ? La Grande Guerre, oui, mais on en savait si peu à son sujet... Ceux qui résidaient parmi les astres étaient-ils la clé du secret ? Serait-ce à cette époque qu'ils auraient quitté les lieux ? Inutile de lui demander : elle n'en savait sans doute pas plus, si ça remontait aussi loin. Shinji fut obligé de mettre les gaz pour suivre le rythme instauré par C.C. Il espérait que cette accélération n'était due qu'à sa hâte de regagner ses pénates et pas d'être débarrassée de lui.  

C'était vrai qu'il en demandait beaucoup... Mais en même temps, comment ne pas être fasciné par ce récit d'une tout autre culture ? L'espace avait encore tant de mystères à leur offrir. Du bon comme du moins bon, évidemment. Il n'était pas naïf au point de croire que tout était tout rose là-haut, même nonobstant les pénuries qu'elle avait évoqué. Mais il restait plus disposé à y tenter sa chance que sur ce sol déjà trop imbibé de sang, que dans cette guerre totale...

« Même si ce n'était pas facile tous les jours... Vous regrettez d'être partie, parfois ? »

La question était plus rhétorique qu'autre chose. Il se doutait que laisser tout ce qu'on connait derrière soi, que partir pour une planète inconnue n'avait rien de très réjouissant. Il lisait entre les lignes que ce qu'elle était venue faire était de la plus haute importance, mais ce n'était pas ce qui ferait taire ses éventuels (res)sentiments. D'autant qu'elle ne s'attendait pas forcément lors du voyage que ce ne soit qu'un aller sans espoir de retour... À tout le moins jusqu'à nouvel ordre. Si elle avait quelque chose sur le coeur, autant lui permettre de s'en soulager.

Shinji estima à plus de deux siècles la construction et l'envoie des colonies. CC le laissa imaginer ce qu'il voulait, ça n'avait de toute façon aucune importance à ce jour. Et puis elle n'avait pas envie de rectifier. en fait elle n'avait plus vraiment envie de parler: il en savait déjà plus qu'assez. Désormais, elle voulait juste rentrer, au plus vite.

Communication CC/Shinji:
- Même si ce n'était pas facile tous les jours... Vous regrettez d'être partie, parfois?
- Non, je n regrette pas.

Parfois sa famille lui manquait et le peuple de la Cité lui donnait envie de devenir folle mais il était hors de question de regretter. Son rôle ici était bien plus important pour son peuple.

Communication CC/Shinji:
- Si tu arrives à parler, c'est qu'on peut accélérer.

Une nouvelle fois le Lucifer accéléra.

Christina semblait se lasser de ce dialogue. Ce qui pouvait se comprendre : il était en majeure partie à sens unique. Il posait des questions et elle y répondait. De plus, même si elle affirmait ne pas regretter d'être venue, cela ne voulait pas dire qu'elle n'en était pas nostalgique. Quand on a l'espace pour patrie, peut-on parler de mal du pays ? Non, elle en avait déjà bien assez dit. Et il fallait bien laisser de la place à l'imagination, en attendant le jour où il irait voir de ses yeux ce qu'il en était vraiment.

« Merci. »

Lui en dire autant avait dû lui demander des trésors de patience. Elle n'avait pas vraiment le profil professoral. Qu'elle s'en soit donné la peine juste pour satisfaire sa curiosité était inattendu, mais néanmoins appréciable. C'était peut-être un moyen pour elle d'en raviver le souvenir - d'être sûre de ne pas oublier ce qu'elle devrait un jour retrouver. Pour sa part, Shinji se découvrait un intérêt inédit, fasciné par ces récits d'outre-ciel. Pourrait-il un jour marcher parmi les étoiles, lui aussi ? La perspective lui valut un frêle sourire.

« J'espère pouvoir y aller avec vous, un jour. » confessa-t-il.

Façon de parler, mais elle comprendrait l'idée. Peut-être serait-il déçu, c'est vrai. L'herbe semble toujours plus verte ailleurs, et c'est quand l'on s'y rend que l'on se rend compte qu'elle n'a rien de différent. Mais il voulait essayer, tenter sa chance malgré tout. Ce n'était pas pour le peu qu'il avait ici. Il ne laisserait rien derrière lui - rien qu'il puisse regretter. Qu'avait-il à perdre à aller vérifier ? Poussant les réacteurs, il se renfonça dans son siège en silence, bercé par ces rêves d'un monde meilleur.

* Je ne l’espère pas pour toi. *

Le reste du trajet se passa sans incident, et sans discussion particulière. Ils firent au plus vite pour rentrer, tout deux secoué par leur affrontement avec Foulfronpale et par la chute du spacenoïd.

Quand la Cité fut en vue ce fut à la fois un soulagement (ils étaient en sécurité, normalement) et d'un autre une souffrance de plus pour Christina. Ce lieu, ce n'était pas chez elle. Mais bon... au moins... Elle pourrait manger une pizza?

Départ de Christina Clyne aux commandes du Lucifer.
Lieu suivant: Les Hangars de la Cité

Arrivées des Asran et du chevalier Full Frontal n°129.
Lieu précédent: ?????????

Quelques MS survolés la zone, s'activant dans un ordre et un silence impressionnant.

- Ancien Sinanju retiré.
- Nouveau Sinanju placé.
- Numéro 129 installé dans le cockpit, avec capsule.
- Il devrait se réveiller dans une petite demi-heure.
- Cela nous laisse le temps de nous éloigner.
- Rentrons à l’ascenseur.

* Une construction formidable, elle nous évite de rester coincé sur cette planète. *

Et la zone redevint calme.

Départ des Asran.