La journée était frisquette et le ciel dégagé. Un temps idéal pour une petite sortie de routine à bord du StarDust Gaïa. Arrivant devant la machine pour la patrouille qui lui avait été assignée, Héliana refixait convenablement son sniper dans son dos ; pas toujours facile avec ces gants. La tenue d'hiver était un peu traître : elle était assez chaude pour supporter le froid de l'extérieur, mais trop chaude pour l'intérieur des machines classiques. Plutôt que de retirer leur manteau à l'intérieur des MS, la plupart des pilotes préféraient augmenter l'aération du cockpit et de fait profiter de l'air glacial pour refroidir la machine.
Héliana n'était pas différente ; elle choisissait donc de garder les gants et le manteau tout en pilotant. De toute manière, avec le temps, la pilote avait réussi à maîtriser sa machine aussi bien avec que sans les gants.

La machine décolla paisiblement ; le froid avait légèrement engourdi la nature agressive de la pilote. Elle avait en plus croisé un de ses collègues, Unselk, dont le fils avait attrapé un rhume ; le père avait l'air particulièrement concerné et Héliana, sans même s'en rendre compte, lui avait dit quelque chose dans la veine de "J'espère qu'il guérira vite". Pourquoi avoir fait ça ? Ce type n'était qu'un terrien. Un habitant de la capitale et un collègue, certes, mais... quelque chose s'était passé, c'était comme si elle avait ressenti l'inquiétude du mécanicien et s'était laissée toucher par cette émotion.
Elle secoua la tête ; ça avait beau être une mission de patrouille, elle devait rester attentive. Elle vola plusieurs minutes dans le ciel aussi bleu que glacé, et dut même à plusieurs reprises atténuer l'aération ; à aussi haute altitude, même les gants ne suffisaient pas.

Soudain, son regard fut attiré par un détail,une petite forme sombre qui bougeait dans l'immensité morne. Prudente, elle fit un premier tour d'observation. Il s'agissait d'un homme, seul, visiblement armé, bien que dérisoirement en comparaison avec une machine comme la sienne.
Et en parlant d'armes, il sembla à la pilote que... mais non...

Elle survola une nouvelle fois la personne ; plus de doute possible, c'était bien un uniforme de l'UTI ? Etait-ce le gamin qu'elle avait rencontré il y avait quelques jours ? Quand même pas ?
Le StarDust Gaïa se posa lourdement à quelques dizaines de mètres de l'inconnu, et Héliana activa le micro extérieur de sa machine :

- Salut salut. Déclinaison de l'identité je vous prie.

Elle était en situation de force, elle le savait - à moins d'une grosse surprise. Aussi apprenait-elle de ses erreurs et allait-elle la garder le plus longtemps possible.

L’inconnu n’avait pas bougé, comme acceptant calmement son sort. Presque comme s’il avait prévu l’arrivée de la machine. La nature redevenue prudente d’Héliana flairait le piège. C’était trop calme. Néanmoins, le StarDust Gaïa s’était simplement posé, un genou à terre, et ne dégageait aucun signe d’agressivité. S’il s’agissait vraiment d’un type en solo, Héliana avait un avantage indéniable, mais s’il s’agissait d’un piège…

Son cœur rata un battement lorsque le jeune homme déclama calmement son nom. Un… un soldat de l’UTI ? Ici ? mais qu’est-ce qu’il foutait là ? Attends, calme, comme évoqué, ça pouvait être un piège. Pourquoi révéler tout de suite une telle identité ? Qu’est-ce qui pouvait prouver qu’il disait la vérité ? … Qu’est-ce qui pouvait prouver qu’il mentait ?
Il semblait à la pilote que peu de personnes étaient au courant de la simple existence de l’UTI. Mais entre le roi, Magnus, Itachi, ce gamin qu’elle avait croisé… le secret commençait à transpirer…

Avec la caméra de sa machine, elle zooma sur ce Visrin ; inconnu au bataillon. Pouvait-elle vraiment lui faire confiance ? Et toujours cette question : comment pouvait-elle être sûr de son identité ?
Un détail lui revint alors à l’esprit et, après quelques secondes de silence, elle réactiva le micro :

- Ok, Visrin. Armes à terre, mains sur la tête je te prie.

Elle l’avait tutoyé ? Elle l’avait tutoyé. Sans doute s’agissait-il d’un instinct pour se rapprocher de son soi-disant compatriote. Ou bien était-ce un témoignage de sa position de force ? Elle n’avait pas précisé qu’aucun mal ne lui serait fait pour qu’il ne pense pas qu’elle éprouverait la moindre pitié au premier geste suspect, mais aussi parce qu’en réalité, elle était trop curieuse de la suite pour le tuer.

L'inconnu, ce Visrin, s'exécuta calmement, sans même montrer le moindre signe d'hésitation. Lorsqu'il eut fini, Héliana ouvrit son cockpit armée de son Sniper qu'elle braqua vers le jambes du jeune homme. Lentement, elle descendit de sa machine, sans lâche un moment son arme.
Elle s'avança prudemment vers Visrin. Cheveux verts, peau pâle... étrange pas mais anormal semblerait-il.

Arrivée à quelques mètres de lui, elle, elle jeta un coup d'oeil aux armes à terre : matériel des colonies. Le doute se réduisait comme une peau de chagrin. Mais il lui faudrait encore une dernière preuve.

- Ton communicateur, dit-elle simplement. Allume-le et amène-le moi.

Elle avait essayé de paraître le moins agressive possible, mais son inquiétude s'était laissée entrevoir. Les communicateurs étaient souvent nominatifs et ne pouvaient pas être utilisés par quelqu'un d'autre que leur propriétaire légitime.
Cependant, au cas où, elle avait toujours le sniper dans les mains. On-ne-sait-jamais.

Héliana avala sa salive lorsque la main de l'inconnu rentra dans son uniforme, mais la pilote se détendit lorsqu'elle reconnut le communicateur. Il savait donc de quoi elle parlait, et de fait, elle déduisit qu'il devait savoir qu'elle savait qu'il savait (elle est chiante cette phrase, hein ?).
Héliana reçut l'appareil, une main encore sur le sniper. Visrin Aurion, comme annoncé. La photo correspondait également. Il disait la vérité alors ?
Elle le lui rendit et rangea son sniper dans son dos :

- Désolée pour ce... cette formalité, mais on n'est jamais trop prudents.

Elle lui tendit la main avec un sourire :

- Héliana Steinfeld, soldat de l'UTI, enchantée.

Visrin était resté parfaitement calme depuis le début, quelque chose qu'Héliana ne pouvait qu'admirer. Elle aurait sans doute tenté quelque chose à un moment où à un autre. Quoique... son entrevue avec l'autre gamin de l'UTI lui revint en tête mais elle chassa ses pensées d'un discret clignement d'yeux.
Quelque chose semblait étrange cependant : ils venaient de se trouver tous les deux, deux spacenoïds perdus sur Terre, mais les effusions se faisaient très discrètes, presque pudique. Héliana avait étrangement tendance à "sentir" les personnes autour d'elle, à écouter ses tripes pour lui dire si oui ou non elle pouvait leur faire confiance. Et c'était là le drame ; ce Visrin avait été docile comme un enfant et sage comme une image. Elle avait pensé qu'il était paralysé par la peur et qu'une fois rassuré, il se détendrait beaucoup plus. A la place, il avait pris ça avec un détachement presque malsain.
Il lui avait cependant rendu son sourire et l'espace d'un instant, il sembla à Héliana qu'il était sincère. Mais une voix dans son esprit lui répétait de se méfier de lui.
Elle n'y prêta pas attention ; c'était sans doute le stress qui parlait encore, ces pensées disparaîtraient bien vite.

- Oui, je suis moi-même à la Capitale, une cité fortifiée dirigée par le roi Kougami. Besoin d'un transport ?

Elle avait lancé cette dernière phrase avec un ton de plaisanterie ; bien sûr qu'elle allait le ramener, elle n'allait pas le laisser dans la nature où tout pouvait lui tomber dessus.
L'interrompant dans sa blague, Visrin demanda s'il pouvait reprendre ses armes, quelque chose qui, pour Héliana, allait sans dire. Aussi s'empressa-t-elle de répondre.

- Oh, oui oui, bien sûr.

Elle commença à s'éloigner, estimant la place de sa machine :

- Le cockpit est un peu petit, faudra se serrer, et vu comme on est équipés, ça va être coton.

Bah, ils se débrouilleraient ; elle le précéda dans le cockpit.

C'était de l'humour ? Ca ressemblait à de l'humour, mais il n'avait pas souri, il avait simplement énoncé un fait.
Visrin s'installa comme il pouvait dans le cockpit tandis qu'Héliana se décalait pour lui laisser de la place.

- Là, voilà, c'est bien comme ça. Allez, on est partis.

Après s'être brièvement assurée qu'ils n'avaient rien oublié, Héliana referma le cockpit et engagea un décollage lent ; à deux dans le cockpit, elle était moins sereine et elle ne voulait pas qu'un choc ou qu'une secousse imprévue ne vienne déséquilibrer son passager.
A peine avaient-ils décollé que Visrin demanda des précisions sur le roi :

- Oui, avoua-t-elle. Je l'ai mis au courant. Mais c'est un homme intègre, je sais qu'il ne trahira pas ma confiance. Du moins je l'espère. Il n'a rien fait jusqu'à présent qui laisse penser qu'il le fera.

Et puis tant qu'à faire, autant le briefer sur ce qui l'attendait :

- Tant qu'on y est, j'en profite pour te mettre un peu au courant vu qu'il semblerait que tu débarques ici. Le roi est intègre, donc, et me fait confiance. Je ne lui ai pas donné de raisons de ne pas faire confiance aux membres de l'UTI, mais je sais qu'on a un des nôtres qui essaye de piquer du hardware et qui aurait des... infos contradictoires. Il faudrait s'en méfier, mais tant qu'on n'attire pas l'attention et qu'on reste discret, je pense que l'on peut être considérés comme bienvenus.

Les murs de la Capitale commençait à être en vue.

Le vol continuait paisiblement ; à cette distance de la Capitale, ils n’avaient plus rien à craindre venant de l’extérieur. Les éventuels problèmes viendraient plutôt de l’intérieur.

- Le roi sait reconnaître le potentiel quand il le voit. Même si je fais officiellement partie de son armée – j’ai été nommée Caporal il y a quelques jours – je reste également un soldat de l’UTI. Il connaît ma mission et, s’il ne fait rien de spécial pour m’aider, il ferme les yeux lorsque je sors un peu du lot. Il nous aidera simplement s’il voit un intérêt pour lui ou son peuple.

Etrangement, en effet, le roi s’était avéré assez serein et, passé la surprise première, avait accepté assez légèrement le fait d’avoir une spacenoïd au sein de sa ville. Même si Héliana se répétait que c’était uniquement parce qu’il était toujours preneur de pilotes talentueux, elle n’excluait pas l’éventualité qu’il puisse l’utiliser à ses propres fins.

- Ah, l’autre…

Un doute germa alors dans l’esprit d’Héliana. Peut-être que ce Visrin avait été envoyé avec le même ordre de mission. Le dénigrer ouvertement pourrait poser problème et remettre en cause sa loyauté envers l’UTI. Aussi s’efforça-t-elle de paraître le plus neutre possible.

- Il semblerait qu’une fois Valdam éliminé, notre prochaine cible soit la Capitale. Et perso, j’ai pas reçu d’ordre comme ça. T’en saurais quelque chose, toi ?

Alors qu’ils s’approchaient de la ville, la pilote commença à amorcer les manœuvres d’atterrissage.