- J'ai vraiment du mal à m'y faire. Vous les citoyens, vous êtes si... tactiles et familiers. C'est à l'opposé des nobles de la Capitale, toujours si stricts et distants.

J'écoute ses paroles, un peu surprise de l'entendre venir sur ce sujet. J'avais bien remarqué la différence mais pourquoi aborde t'il ce sujet maintenant ?

- Au Royaume, personne n'aurait osé toucher au col de ma veste sans mon accord.

C'était donc ça ? Je comprends mieux. Un léger sourire m'échappe. Je ne regrette pas d'avoir privilégié son bien-être à de simple apparence.

- Comment le général Senba a fait pour s'y habituer ?

"- Petit un, il n'a pas eu le choix.
Et petit deux... Je crois que ça lui a plu en fait. "

Après, la meilleure façon de le savoir serait de le lui demander directement. Mais pour l'avoir beaucoup côtoyé ces deux dernières années, je ne pense pas me tromper. Il était tellement gêné pour la Reine, chaque fois qu'elle se faisait reprendre alors qu'elle essayait de bien faire. Elle a eu bien du courage.  

"- Mais j'ai compris. Je ne permettrais plus ce geste. Ou loin des regards indiscrets. "

Ce sont ses mots de tout à l'heure alors, je ne vois pas de mal à les réutiliser. Enfin, s'il ne dort pas, autant discuter un peu. Et puis, des questions, j'en ai quelques unes à présent. Pas de curiosité malsaine ou mal placée mais vraiment de la pure interrogation.

"- Comment va votre oeil ? C'est un geass, n'est-ce pas ? Je n'en avais jamais vu avant.  
C'est à cause de lui que vous avez tout le temps mal à la tête ces derniers temps ? "

- Mon oeil va bien, c'est juste ma tête qui me fait mal. Oui, c'en est un.
Oui... Je ne le contrôle pas. Dès que je retire ce cache-œil je l'utilise forcément et cela est très... éprouvant et fatiguant. A chaque fois, j'en ressors avec des douleurs à la tête.

C'est donc cela le fin mot de l'histoire ? Pas étonnant qu'il dise que les médicaments ne font pas effet. Au moins, le baume le soulage, cela me rassure. J'avoue ne pas réellement avoir saisi ce qu'il fait mais j'ai pu juger de son efficacité. Si tous les alters sont aussi puissants... Nous ne sommes vraiment pas grand chose à côté.

- Cela ira mieux demain, au moins, nous sommes en vie.
Mais ne dites rien à Gabin, il serait déçu. En fait, ne dites rien à personne.

"- C'est promis. "

Il n'y a aucun risque que j'aille répéter cela. J'avais déjà prévu de garder ce détail pour moi alors cela ne changera rien. Mais j'ai vu son regard devenir terne lorsqu'il a évoqué le fait d'être vivant.

- Et vous, comment vous sentez-vous? J'ai bien vu que l'attaque vous avez fortement secouée.

"- Cela va mieux, ne vous en faites. C'était juste... un mauvais moment à passer. "

Je n'ai pas envie de l'ennuyer avec ça mais en même temps, sur la fin ma voix à légèrement déraillée. Oui, je sais, c'est encore douloureux.

"- J'ai surtout eu peur... De revivre la même chose qu'il y a 2 ans.
Les insectes et moi, ce n'est pas vraiment une histoire d'amour. Au moins, cette expérience m'aura servi. "

Certes, cela n'a pas été une franche réussite mais le coup de la pince m'a sauvé la mise. Bon, je n'ai pas particulièrement envie de m'attarder là-dessus, je vais déjà en faire des cauchemars cette nuit, cela me suffira. Et puis, ce n'était pas son oeil tout à l'heure qui lui a fait mal alors ...

"- Que vous est-il arrivé ? Lorsque le premier insecte a été tué, vous vous êtes effondré. Mais ce n'était pas votre pouvoir alors... pourquoi ? "

Si je sais, je pourrais peut-être l'aider.

- Je supporte mal le fait de tuer ou d'ordonner de tuer.

Vraiment ? Ou plutôt, c'est à ce point-là ? Il semblait si mal que j'ai cru qu'il avait été blessé par l'insecte, atteint par une de ses attaques alors que finalement, il s'était fait du mal tout seul. Je me sens réellement désolée pour lui qui n'a pas eu d'autre choix que de donner cet ordre pour nous protéger. Et là où je m'attendais à ce que le silence tombe, le voilà qui vient se livrer un peu plus.

J'écoute son histoire avec calme et tristesse, déçue du comportement de son père. Le mien aurait-il fait quelque chose de semblable ? Je n'en sais rien. Et puis, la mort, nous sommes malheureusement bien vite habitué à la côtoyer dans le Bourbier. Je suis amusée d'entendre de nouveau le nom du seigneur Pert, je crois que je ne vais pas l'apprécier sans même l'avoir rencontré à force.

Par contre, je suis tout simplement outrée en découvrant la fin de sa punition. Ca, c'est cruel ! Ca n'avait pas le moindre intérêt. C'est traumatisant et inhumain ! Je me sens révoltée avant de laisser cette colère s'envolée, remplacée par une véritable empathie. Il ne méritait pas de vivre ça. Les punitions n'existent que pour nous faire apprendre de nos erreurs comment les réparer. Ca, ce n'était rien de plus qu'une démonstration de virilité mal placée.

- Je vous présente mes sincères excuses pour ce moment de faiblesse. Il aurait pu nous coûter cher.

"- Il n'y a pas plus grande force que de rester fidèle à soi-même. Et bien que cela ne soit pas facile, cela en vaut le coup...
La prochaine fois, serrez ma main et je donnerais l'ordre à votre place. "

Il n'a pas à s'excuser. Il a combattu sa peur, il est passé au-delà de son traumatisme pour tous nous protéger, je n'ai aucune raison de lui en vouloir. Surtout que, si je remets en place tous les éléments que j'ai découvert, il voit les âmes grâce à son pouvoir. Alors, il les a aussi vu... disparaitre ? Ce doit être terrible comme expérience.  

"- Actuellement, je vous plains plus que je ne vous envie... "

Mais cela ne m'empêchera pas de lui sourire sincèrement. Il semble si droit et impassible comme cela que je n'aurais jamais deviné qu'il puisse aussi dissimuler de telles blessures. Et un peu bêtement, je me sens honorée de réaliser qu'il me fait assez confiance pour me révéler quelque chose de si important.

"- Tout ceci restera loin des oreilles indiscrètes. Et même des autres, c'est promis.
Reposez-vous maintenant. Vous en avez grand besoin."

Encore plus que je ne l'imaginais. D'ailleurs, je reste au bureau, lui laissant l'occasion de s'installer sur le lit à son aise. Je sais que je n'ai pas sommeil de mon côté et ainsi, je pourrais m'assurer qu'il se repose vraiment.

"- Est-ce que je peux vous demander... A quoi ça ressemble, une âme ?"

- Certainement pas. Tant que l'Archangel ne sera pas en vol, je refuse de faire plus que fermer les yeux. Et puis, vous aussi avez besoin de repos.

Je sais. Aucun que je me sais incapable d'en prendre pour l'instant. Peut-être que comme lui, une fois que l'appareil sera en vol, je me sentirais assez en sécurité pour me laisser aller au sommeil. En attendant, je me demande bien à quoi cela peut ressembler un âme.

- Elles sont...
... comme de petites sphères qui ondulent et dansent les unes avec les autres. Chacune à une ou deux couleurs qui varient selon les émotions. On dirait... des étoiles colorées, vivantes. C'est un spectacle magique, en constante évolution, on ne peut se lasser de les regarder.

Mes yeux se ferment tandis que je cherche à imaginer la scène. Et le peu que je parvienne à me représenter est tout simplement sublime. Une mer d'étoile dansante, ce n'est pas donné à tout le monde. Forcément, dans mon imaginaire vient apparaitre également une étoile filante, trop vite disparue mais cela ne gâche en rien la beauté de ce paysage imaginaire. Quand je pense qu'il peut en profiter pour de vrai, j'en serais presque jalouse.

"- Ce doit être... magnifique...
Pour cela, je vous envie réellement. "

- Il faut bien quelques avantages. A côté il y a... les migraines et l'obligation de porter un cache-oeil pour que personne ne puisse voir le geass.
Ce n'est pas l'objet le plus confortable du monde et j'ai encore du mal à m'habituer à n'avoir qu'un seul œil d'opérationnel au quotidien.

Je peux le comprendre. Mais est-ce une bonne idée de le retirer malgré tout ? Cela risque d'accentuer ses maux de tête. Après, c'est sans doute un des seuls endroit ou il peut se le permettre en toute sécurité. Il sait ce qui est bon pour lui aussi, je le laisse gérer cela.  

- Les soldats avancent bien, je ne vois presque plus d'Eivy à bord.

"- C'est une bonne nouvelle. "

Mine de rien, je sens bien que cela me rassure. Je lui fais confiance, il ne mentirait pas sur un tel sujet. Mais maintenant qu'il m'a parlé de cette mer d'étoiles qu'il peut percevoir, je m'interroge aussi sur celles bien plus proche qu'il peut percevoir.

"- Dites-moi, à quoi ressemble votre âme ? Est-ce que vous pouvez la voir ?"

Parce que mine de rien, regarder les autres est quelque chose mais peut-il s'observer lui-même ?

- Je ne sais pas.
Je n'ai pas osé regarder.

Tiens, je n'avais pas un instant songé à cette possibilité et pourtant, maintenant qu'il en parle, cela me parait assez évident. Mais pourquoi n'ose t'il pas ?

- S'il n'y a rien... Je me demanderais à jamais si c'est une limite de mon pouvoir ou si je n'ai pas d'âme.
Et s'il y a bien quelque chose... Se retrouver face à soi-même pourrait avoir des conséquences. Enfin, j'imagine. Une âme... Ca ne peut pas mentir, ça ne peut pas cacher. C'est authentique.

"- Je n'ai peut-être pas de geass mais je peux vous assurez que vous avez une belle âme. "

La façon dont il s'est occupé avec moi des soucis du quartier pauvre, ses interactions avec les enfants, ses idées, son aide et son soutien. Il n'y a pas de doute possible là-dessus. Ce n'était pas son devoir, c'était juste lui.

- Dorian m'a demandé a quoi ressemblait la sienne, je lui ai dit et il n'est pas devenu fou. Je crois que c'est plutôt bon signe. Mais je n'ose pas regarder la mienne quand même.

"- Alors, faisons autrement. Fermez les yeux et imaginez-là. A quoi voudriez-vous qu'elle ressemble ?"

Comme en ouvrant les yeux, il peut voir celles des autres, en les fermant, il pourra davantage se connecter à lui-même.

"- Si vous jouez le jeu, je vous dirais pour la mienne. "

- Je ne suis pas certains que ce soit une bonne idée.
... ... ... C'est dur...

Ca n'aurait pas d'intérêt si c'était trop facile. Et puis, il voit déjà les âmes des autres, il a un sacré avantage de base. Sans compter que là, il est libre de la choisir. Il pourrait donc me raconter ce qu'il veut alors, ce n'est pas si terrible. Alors, qu'est-ce que cela donne de l'avis du Conseiller Shinya sur sa propre âme ?

- Je crois qu'elle serait bleue. Un bleu froid comme la glace.
Surement petite avec comme une bulle protectrice autour. Peut-être même quelques piques...
Ni étincelles, ni rayonnement, à peine un scintillement montrant qu'elle est en vie.

"- C'est un bon début. Vous voyez quand vous voulez. "

Bon, il aurait pu essayer un peu plus fort mais au moins, il ne s'est pas défilé. Alors, c'est un bon point. Et maintenant qu'il a essayé, c'est à mon tour de jouer le jeu. Aussi, je ferme les yeux, essayant d'imaginer à quoi mon âme pourrait ressembler.

"- Je vois... une belle fleur d'un joli rose tendre.
Pas très grande, ni très sophistiquée. Même pas de racines pour la retenir. Mais juste assez brillante pour montrer qu'elle est là."

Oui, je sais. Il a parlé de sphères mais c'est surement parce que j'ai autant d'imagination qu'eux que je m'entends si bien avec les enfants. Je rouvre les yeux doucement, un grand sourire amusé sur les lèvres avant de rajouter.

"- Et non, je ne veux pas savoir la vérité non plus. Moi aussi, je n'aurais surement pas osé me regarder en face. "