Shinji ne faisait pas vraiment partie de l'armée. À ce titre, il était au plus bas dans la chaîne de commandement - ce qui voulait dire qu'il écopait régulièrement des missions subalternes pendant que les pilotes plus chevronnés s'attelaient à des tâches moins ingrates. C'était loin de l'enchanter, mais ce n'était pas vraiment comme s'il avait son mot à dire.

Ainsi s'était-il retrouvé à bord de l'Overlord à devoir pour ainsi dire jouer les déménageurs. En effet, l'un des postes-radios les plus importants de la Cité avait besoin de recevoir des matériaux de construction en vue de travaux d'agrandissement. Seulement, au vu de sa position éloignée et du relief environnant, y faire parvenir des véhicules conventionnels aurait été pénible, mais aussi dangereux ; ce pourquoi on avait choisi d'envoyer un MS - le sien, en l'occurrence.

On l'avait alors chargé de tout ce qu'il devait transporter. Il ne s'était pas intéressé au détail de la chose : tout ce qu'il savait était qu'il devait acheminer le colis d'un point A à un point B. On faisait difficilement plus simple.
Ce n'était pas plus mal : Shinji doutait qu'il aurait été en mesure d'accomplir une démarche beaucoup plus complexe. Étant donné la manière dont s'était soldée sa dernière sortie, il était plus réticent que jamais à monter au sein de son appareil - mais là encore, ce n'était pas comme s'il avait vraiment le choix. Ni comme s'il l'avait jamais vraiment eu.

Après avoir débarqué sa marchandise, on lui demanda de rester en place le temps de vérifier que rien ne manquait. Il lui fut proposé de descendre pour se restaurer, mais il déclina l'invitation : non seulement n'avait-il aucune envie d'accueillir les habituels commentaires concernant son âge, mais il n'était pas non plus sûr qu'il trouverait le courage de remonter s'il avait le malheur de descendre de l'Overlord. Ainsi laissa-t-il simplement la machine en veille en attendant qu'on lui dise de repartir, s'escrimant à ne pas trop laisser son esprit vagabonder malgré le manque d'occupation ; ça ne lui réussissait que très rarement.

Il devait être en attente depuis un peu plus d'une heure quand il se crispa en entendant son radar s'activer : un signal était en approche à quelques kilomètres. Évidemment, les choses ne pouvaient pas être aussi simples... Qu'est-ce que ça pouvait être encore, cette fois ? Son coeur se serra à l'idée de devoir se battre - surtout à proximité de civils : il n'avait pas suffisamment confiance en ses capacités de pilotage pour garantir leur sûreté. Mieux valait donc prendre les devants et aller à la rencontre de cet appareil non-identifié.

« Mettez-vous à l'abri. » indiqua-t-il simplement aux personnes présentes avant de prendre son envol. Sans attendre, il se dirigea dans la direction d'où venait le point lumineux sur son détecteur avec la ferme intention de le rencontrer à mi-parcours et - s'il le fallait - l'empêcher d'aller plus loin.

Les yeux rivés sur son radar, Shinji tâcha de se préparer au combat - ce qui se résuma à tirer son épée et en faire jaillir la lame ; ce n'était pas comme s'il avait le temps, ou même les compétences, de préparer une quelconque forme de stratégie.
À quoi pouvait bien correspondre ce signal ? Si la machinerie était incapable de l'identifier, il y avait peu de chances que ce soit un appareil de la Cité - qui n'aurait de toute façon aucune raison de se trouver dans ces lointaines contrées. Quoi, alors ? Mobile Armors ? La Capitale ? Scydonia ?

Chacune de ces suppositions ne faisait que le rendre plus nerveux que la précédente ; l'adolescent jugea donc préférable d'attendre d'avoir un visuel plutôt que de continuer à envisager le pire.
Il se figea donc dans les airs pour intercepter l'intrus à quelques centaines de mètres des installations - là où ils seraient trop loin pour les endommager en cas de combat. Du moins, il l'espérait.

Enfin, un point apparut sur la ligne d'horizon. Les caméras procédèrent rapidement à un zoom sans qu'il ait eu besoin de le leur demander, révélant la sinistre silhouette de ce qui serait très vraisemblablement son adversaire aujourd'hui. Inutile de dire que la surprise fut de taille.

« Quoi ? » s'étrangla Shinji.

Pour autant qu'il puisse en juger, cette machine était exactement la même que celle qu'il avait combattu - et détruit - lors de son premier combat, tuant du même coup son occupant... Enfin, c'était ce qu'il croyait.
Il s'efforça de garder la tête froide et de se raisonner : il était loin d'être un expert en matière de Mobile Suit. Ce pouvait très bien être un modèle produit en série comme celui que pilotait Suzuhara.
Qui sait, peut-être même en avaient-ils qui prenaient la poussière à la Cité ; peut-être était-il passé à côté sans jamais s'en rendre compte. Ce n'était pas comme s'il aimait s'éterniser dans les hangars, ou qu'il portait un intérêt particulier à ces engins de mort.

Toute tentative d'y trouver un sens fut toutefois balayée quand le pilote adverse ouvrit les canaux de communication pour le saluer. Si sa voix aurait amplement suffi à le reconnaître, l'image n'était qu'une preuve supplémentaire.
À moins que quelqu'un d'autre ait eu l'idée macabre de reprendre son déguisement, c'était bien la même personne - revenue d'entre les morts.

« C'est impossible. » déclara un Shinji abasourdi, laissant l'Overlord complètement inactif - et ainsi ouvert à une attaque potentielle. « Je t'ai vu tomber ! Je... »

Je t'ai vu mourir.

Shinji resta encore un instant stupéfait, incapable de savoir comment réagir devant cette apparition. Bien sûr, il était soulagé d'apprendre qu'il n'avait en fait tué personne : la culpabilité l'avait rongé des mois durant. D'un autre côté, s'il s'en était débarrassé alors, il n'aurait pas à l'affronter aujourd'hui...
Par ailleurs, s'il n'en était pas mort, son adversaire avait du moins dû se retrouver dans une position très délicate par sa faute, et même être grièvement blessé ; il avait toutes les raisons de lui en vouloir.
Et l'idée d'avoir à ses trousses quelqu'un qui en avait après lui personnellement n'était pas pour le rassurer.

Si son vis-à-vis était choqué de le retrouver, il n'en laissa rien transparaître, et donna la charge à la première occasion. Shinji reprit ses esprits juste à temps pour faire reculer son appareil, de telle sorte que la lance se contenta d'érafler son plastron.
Si l'entaille n'était que peu profonde, il n'en ressentit pas moins une vive douleur au niveau du torse, qui l'obligea à serrer les dents ; il y était toutefois suffisamment habitué désormais pour garder les mains sur les commandes, lui permettant d'esquiver les tirs subséquents.

Il ne savait pas vraiment comment accueillir cette nouvelle, non ; ce qu'il savait, en revanche, c'est que s'il restait en place, il allait se faire massacrer. S'il le fallait, il aurait tout le temps d'y réfléchir en profondeur une fois en sûreté : pour l'heure, sauver sa peau passait en priorité.

« Je ne sais pas comment tu t'en es sorti... » fit-il alors qu'il prenait un peu de recul après avoir échappé de justesse à la dernière salve. « ...Mais je n'ai pas l'intention de me laisser faire ! »

Il se projeta en avant et sa lame plongea vers le bras de l'unité ennemie, tentant d'empaler son épaule pour l'obliger à lâcher son arme. Cette lance lui conférait une meilleure portée, mais ne lui serait d'aucune utilité s'il n'avait pas assez d'espace pour s'en servir...
Dans le même temps, une rafale de balles ordinaires fusa depuis les canons installés sur son casque à destination du « visage » de l'autre mecha, pour peut-être endommager ses caméras. S'il réussissait à le priver de sa visibilité du champ de bataille, Shinji obtiendrait un avantage considérable - mais il doutait que ce soit si facile.

« Je ne suis plus aussi faible qu'auparavant. » ajouta Shinji à l'adresse de son adversaire, bien qu'il tentât surtout de s'en convaincre lui-même.

Ainsi donc, il avait été victime d'une défaillance technique, mais s'en était sorti indemne - du moins encore en état de piloter. Même si cela voulait dire devoir de nouveau se heurter à lui ce jour, la conscience de Shinji fut soulagée d'un poids immense.
Bien sûr, en tant que « soldat » - cette appellation restait très discutable dans son cas -, il serait sans doute amené à tuer un jour, à moins qu'il ne soit abattu d'abord ; ce n'était qu'une question de temps. Mais le plus tard serait le mieux.

« Dans ce cas, il est temps de l'envoyer à la casse, ce tas de ferraille ! » rétorqua-t-il, au mieux de sa répartie.

De toute évidence, il ne s'était pas trompé en estimant que son adversaire gardait une certaine rancune à son égard. Ses assauts étaient d'une férocité incroyable, et l'obligeaient à rester sur la défensive - ce qui allait finir par poser problème.
En effet, l'Overlord disposait de peu de réels moyens de protection, sinon sa rapidité de mouvement et la simple dureté de son blindage : l'esquive était encore sa meilleure option, sans quoi il ne tiendrait pas bien longtemps.

Deuxième constat inéluctable : son vis-à-vis s'était entraîné plus que lui - beaucoup.
Ce n'était pas bien difficile puisqu'il traînait les pieds à chaque fois qu'il fallait monter dans son Gundam ; il ne risquait pas de faire des heures supplémentaires.
Cependant, s'il avait cru ressentir un très léger avantage de son côté lors de leur première confrontation - c'était dire si l'homme masqué devait être malhabile à l'époque -, ce n'était clairement plus le cas désormais ; que du contraire.

Ce n'était certes pas aussi écrasant que lorsqu'il avait affronté le Chevalier Full Frontal, ou encore cet étrange individu de Scydonia - mais la différence était là néanmoins. Et elle pouvait le perdre, s'il n'y faisait pas attention.
Par chance, il n'était pas dans ses habitudes de pécher par excès de confiance - plutôt l'inverse, à vrai dire. Redoubler de précaution lui était pour ainsi dire naturel, même s'il ne devait là encore veiller à ne pas tomber dans les extrêmes.

« Je n'ai pas envie d'être fort. Je ne veux pas avoir à me battre ! »

Malgré son aspect pataud, l'unité adverse semblait jouir d'une célérité non-négligeable - à tel point que même l'Overlord, pourtant taillé pour la vitesse, avait du mal à suivre ; à moins que ce ne soit effectivement une simple question de compétence de la part des pilotes.
Qu'importe.

« Mais tu ne me laisses pas le choix. »

Si rassuré qu'il soit d'avoir appris que son premier sang restait encore à venir, Shinji était toutefois parfaitement sincère en disant qu'il avait l'intention de vendre chèrement sa peau.
Ainsi s'arma-t-il de son second sabre laser - un dans chaque main - avant de foncer à nouveau sur sa cible, tentant de lui porter un coup en croix au niveau du torse.
Mais ce n'était pas tout.
À peine une seconde avant l'impact présumé, il injecta un surplus d'énergie dans chacune des lames, faisant doubler leur taille au dernier moment - et, l'espérait-il, compliquant d'autant la parade de son opposant.

L'attaque avait porté ses fruits. Shinji avait ainsi la preuve que si son adversaire lui était supérieur sur le plan technique, il pouvait encore l'avoir par la ruse - du moins dans la limite de ses moyens. des tours comme celui qu'il venait d'employer étaient hélas très coûteux en énergie : il ne pourrait pas se permettre de réitérer à outrance. D'autant que maintenant qu'il savait qu'il avait encore de la ressource, l'autre risquait aussi d'être plus méfiant...

Celui-ci n'avait d'ailleurs pas dit son dernier mot, et poussa ses réacteurs de manière à le prendre de vitesse pour passer dans son dos. L'Overlord entreprit de se retourner, mais trop tard : son vis-à-vis avait eu le temps d'affirmer sa prise sur l'une de ses ailes, et ne semblait pas vouloir la lâcher.
N'ayant ni la marge de manoeuvre, ni la propulsion nécessaire pour se dégager par la force, Shinji sentit le stress l'envahir. La plupart des Mobile Suits étaient armés jusqu'aux dents, au sens littéral du terme : ce n'était pas parce que ses bras étaient mobilisés que l'unité adverse n'était plus en mesure de lui causer des dégâts.
Il s'était acharné à coincer son adversaire dans une lutte au corps-à-corps en voyant que celui-ci n'y semblait pas très à l'aise, mais cela s'était retourné contre lui ; à si faible portée et avec le manque de protection de son Gundam, il ne serait pas difficile de lui porter un coup décisif - voire fatal.

Si l'adolescent parvint à ne pas paniquer, ce serait mentir de dire qu'il agit avec sang-froid. Pivotant aux limites de ce que l'articulation de son aile lui permettait, il arma un coup d'épée - et trancha la partie à laquelle son adversaire était en train de s'agripper, la lui laissant tout simplement dans la main. S'il y tenait tant que ça, il n'avait qu'à la garder.
Bien que son corps humain soit dépourvu d'appendice correspondant, et qu'il ait ainsi eu l'espoir candide d'échapper au contrecoup, il sentit une souffrance inqualifiable lui traverser l'omoplate du même côté.

Son cri emplit le cockpit de l'Overlord, et c'est des larmes plein les yeux qu'il reporta son attention sur son écran... Mais il était libre, et il fallait en profiter - donner un sens à la pénible épreuve qu'il venait de s'infliger.
Le soldat de la Capitale ne s'était certainement pas attendu à ce qu'il s'ampute de la sorte pour échapper à son emprise, et cette surprise était à son avantage. Ainsi, alors qu'il se retournait vivement pour lui faire face - aussi vivement que le lui permettaient ses réacteurs désormais amoindris -, son antagoniste put voir luire au niveau du torse l'éclat de la puissance accumulée - mais trop tard, avec un peu de chance.
Le dévastateur canon central de l'Overlord fit feu de toute sa terrible puissance, celle-là même qui avait mis un terme à leur dernier combat - et presque à bout portant, cette fois. Après le mal qu'il lui avait causé, l'autre pilote avait dû s'y préparer - mais cela ne rendait heureusement pas plus facile de s'en défendre en plein coeur du combat, surtout quand celui-ci survenait sans crier gare.

Là encore, Shinji venait de consumer une bonne partie de ses réserves - mais l'Overlord n'était de toute façon pas fait pour les combats de longue haleine, et moins encore avec les dégâts qu'il venait de s'asséner lui-même. Soit il en finissait rapidement, soit... Il préféra ne pas aller au bout de la réflexion.

« Tu ne peux pas comprendre. » déclara-t-il tout en reprenant son souffle sans même savoir si quelqu'un pouvait encore l'entendre, faisant de son mieux juguler la sensation factice qui parcourait encore le haut de son dos. « Tu n'es qu'une autre de ces brutes assoiffées de sang qui se croient toutes-puissantes. »

Même si Shinji ne s'était séparé que d'une partie de son aile, son absence se faisait nettement ressentir ; ses réacteurs peinaient à compenser ce déséquilibre. Il ne pourrait pas se permettre de rester en l'air encore très longtemps s'il voulait éviter que les choses s'aggravent - d'autant que la brutalité avec laquelle il avait procédé à l'amputation l'empêchait d'estimer correctement les dégâts.
Dans le doute, mettre un terme à cet affrontement le plus rapidement possible semblait être la meilleure solution - et c'est pourquoi il avait décidé d'employer le canon dissimulé dans la cage thoracique de son appareil malgré les risques.

Sa batterie entama une chute vertigineuse au moment de faire feu ; la seule activation de cette arme était extrêmement coûteuse, même s'il ne l'employait pas à pleine puissance. Il n'eut toutefois pas l'occasion de s'en inquiéter outre-mesure, puisque son adversaire avait semble-t-il lui aussi plus d'un tour dans son sac - et jeta une partie de son équipement dans le faisceau avant de reculer.

Shinji n'avait aucune idée de ce dont il pouvait s'agir, et ne comprit que trop tard : une violente déflagration embrasa le ciel de sa rougeur morbide. Plusieurs secondes passèrent sans aucun signe de vie...
Et l'adolescent lui-même eut l'impression d'avoir brièvement perdu connaissance, sans savoir si c'était l'effet du choc - ou celui de la douleur abominable qui consumait son bras droit.
Il avait réussi à limiter la casse, oui, mais avait eu le réflexe - malheureux - de dresser l'une des mains de son appareil en bouclier ; il en payait à présent le prix.

C'était comme si son membre tout entier était dévoré par un brasier inextinguible, du bout des ongles jusqu'à l'épaule - et c'était la seule chose qu'il pouvait encore sentir.
Le bras de l'Overlord pendait piteusement : il paraissait clair qu'il ne serait plus en mesure de s'en servir pendant ce combat. L'épée qu'il tenait alla s'écraser au sol et s'éteignit d'elle-même, n'étant plus alimentée par sa connexion avec l'appareil.

Le bras de Shinji, par conséquent, cessa de bouger également - et l'adolescent failli s'évanouir tant il lui faisait mal. En fait, il aurait sûrement préféré que ce soit le cas pour n'avoir plus à subir ça, si ça n'avait pas voulu dire laisser à son adversaire le soin de l'achever. Piloter cet engin infernal lui était déjà suffisamment pénible : pourquoi fallait-il qu'il endure en plus une telle torture ?

Ainsi en était-il réduit à piloter avec une seule main - car si la seconde était toujours rivée sur les contrôles, il n'avait absolument plus aucune sensation dans celle-ci, à l'exception d'une souffrance lancinante dont il se serait bien passé.
Sans trop savoir comment ni pourquoi, il fit toutefois surgir l'Overlord du nuage de fumée dans lequel la détonation l'avait enveloppé - et piqua droit sur la machine ennemie.

Dans son état, le jeune pilote aurait été bien incapable d'entreprendre une quelconque manoeuvre compliquée, lesquelles lui étaient déjà difficilement accessibles en temps normal - non qu'il tienne à apprendre.
Aussi, se laisser tomber comme une pierre - une très grosse pierre - sur sa cible dans l'espoir de l'immobiliser apparaissait comme étant la meilleure option.
Il avait peut-être été partiellement désarmé, mais les doigts valides de son appareil étaient restés, par il ne savait quel miracle, fermement agrippés à sa seconde arme.

Sollicitant ses réacteurs pour augmenter son élan et corriger légèrement sa trajectoire (il eut été dommage de s'écraser à côté sur une erreur de calcul...), il dilapida le reste de ses réserves pour augmenter à nouveau la taille de la lame énergétique - et tenter d'épingler la machine de la Capitale tel un énorme papillon de métal en la lui passant à travers ce qui, chez un humain, correspondrait à l'omoplate.
Shinji n'avait aucune idée du poids exact de l'Overlord, et la bécane de son opposant, d'après son allure, était assurément plus lourde - mais recevoir une masse de plusieurs dizaines de tonnes sur le dos, magnifiée par la vitesse de sa chute, devrait suffire à l'arrêter dans son élan. Car c'était bien tout ce qu'il voulait, au fond : l'arrêter.

La douleur extrême dans laquelle ce petit incident aérien l'avait plongé le motivait bien sûr à prendre sa revanche, mais ce n'était pas tout : s'il ne le neutralisait pas ici et maintenant, son antagoniste avait toutes les chances de trouver le poste-radio - et, selon toute vraisemblance, de le détruire, ainsi que tous ceux se trouvant à l'intérieur.
C'était horrible, oui - mais c'était aussi le genre d'horreur que la guerre justifie, même si ladite guerre dure depuis déjà bien trop longtemps.
Shinji se moquait bien d'amocher plus avant sa propre machine lors du choc - même si son propre corps ne serait certainement pas du même avis après ce traumatisme ; mais il refusait de lui laisser commettre un massacre, même si cela voulait dire souffrir à la place de ses potentielles victimes.

Si noble que soit cette inspiration, suffirait-elle à faire la différence ? Rien n'était moins sûr.

Il avait échoué.

Il s'en était fallu de peu, mais il avait échoué. Le coup décisif qu'il avait essayé de porter s'était avéré être un échec cuisant. Vidé de ses forces, l'Overlord se figea sur place, les diodes de ses yeux clignotant une dernière fois avant de s'éteindre pour de bon. L'arme qu'il tenait encore à la main ne tarda pas à en faire de même, faisant disparaître la lame-laser qu'il avait été incapable de ficher dans le dos de son adversaire.

Il aurait aimé pouvoir faire plus, pouvoir sauver ceux qu'il était censé devoir protéger - mais ce ne serait pas le cas. Et en un sens, ce serait tant mieux : si les systèmes de l'Overlord était encore opérationnels, il lui aurait fallu partager sa douleur tandis que l'autre mecha s'assurait qu'il ne puisse plus bouger ; un effort superflu, vraiment.
Car même si son Gundam en avait été encore capable - ce qui ne serait assurément pas le cas avant un moment -, Shinji, lui, n'était plus en mesure de combattre. En fait, il n'était plus en mesure de faire quoi que ce soit.

Captif de son cockpit désormais plongé dans les ténèbres, il ne put que se recroqueviller sur son siège et attendre - attendre que ce soit fini. Que le vainqueur de ce combat ait fini de célébrer sa victoire en mutilant son appareil comme bon lui semblait. Qu'il ait fini de mettre à mort tous les civils innocents qui se trouvaient à deux pas d'ici - que Shinji avait été incapable de sauver.
Il ne se demanda pas même si son ennemi allait ou non daigner l'achever : ça lui semblait être une certitude, et il était de toute façon déjà trop abattu que pour encore s'y attarder. Advienne que pourrait.

Les pieds posés sur son fauteuil, les bras noués autour de ses genoux, il ferma les yeux, le bruit de sa respiration se superposant à celui de la tôle froissée et du feu des canons jusqu'à ce qu'il n'entende plus que lui - qu'il étouffe tout le reste.

Tout ce que son Mobile Suit subissait, il le subissait aussi : aussi, en le menant au bout de ses limites, il s'était également épuisé. À moins que son état mental soit seul en cause - qu'il soit en train de ployer sous le poids de la honte et de la culpabilité. Qu'importe. Le résultat était le même.

Ainsi prostré, il sombra lentement dans un état catatonique, sourd aux dernières paroles de son vis-à-vis. Peut-être se trouvait-il aux commandes d'une machine de guerre, mais ça ne changeait rien à qui il était.

Un enfant perdu attendant qu'on vienne le chercher.